Ma vie en bloc et en vrac…

Ah ben non, j’ai pas été gentille, ben non, j’ai pas voulu porter des jupes quand j’étais fillette, je ne suis pas sortie avec les français pure souche, j’suis désolée, hein, j’ai préféré les couleurs aux spectres… ah oui, puis, j’ai pas étudié la loi, ni les choses de l’économie, j’voulais être envoyée spéciale à Moscou, comme Ulysse Gosset sur TF1 mais en fait, tous les trucs que je vous disais, les instruments de musique, les sports nouveaux, les choses banales, c’était pour vous calmer, parce qu’en réalité, j’ai toujours crevé d’envie de brûler les scènes, de craquer le plancher des théâtres, faire l’actrice qui passionne les foules, je voulais des voyages, pas des vacances au bord du ruisseau… Mais j’voulais pas vous décevoir, ben non, vous en auriez été si bouleversés et j’suis une p’tite fille docile, moi, c’est ce que vous vouliez, comme maman, je vous ai écouté mais au fond, enfermée derrière les volets condamnés, j’en voulais, moi, des gens autour de moi, des découvertes avec des livres du Tibet, des épices d’Inde, et puis des opinions variées sur la PROLOTIQUE intérieure, non, j’ai jamais aimé Chirac, et je m’en fous que le RPR protègera mes biens et m’assurera une retraite quand je serai vieille, tout ce que je désirais, c’étaient des porte-bonheur autour du cou, des bracelets brésiliens avec mes copains en colo, et des tee-shirts de Madonna plutôt que des cardigans… pendant tous mes étés, j’en voulais pas de vos potes chasseurs viandards, de vos PÉCHEURS de truies, de vos copains d’apéro qui parlent de leur 4X4 et de leur CORS au pieu, j’ai jamais aimé les vieux bilouteux alcooliques qui se prennent pour des nantis… j’aurais préféré aller voir ailleurs si vous n’étiez pas… ah oui, puis, j’aurais voulu qu’on enlève les cartouches et les armes de ma chambre, j’ai jamais aimé non plus dormir dans la chambre des vieux qui sentent les cèpes, ah non, les vieux, j’ai pas voulu m’en occuper, pas voulu leur torcher le nez ou le cul, ni les laisser passer dans l’escalier devant moi, parce que la politesse aurait été qu’ils crèvent ailleurs qu’à côté de moi, j’aurais voulu des autres de mon genre, voyez, des enfants quoi… j’aurais bien aimé un p’tit frère, oui, enfin, un grand frère plutôt pour me protéger mais surtout des voisins, des cousins, qu’ils soient dans ma chambre à construire des tentes et à conter des âneries, j’aurais aimer me confronter à ceux de mon espèce, plutôt que de me prendre les tabourets de bar dans le front et les mains sur mes fesses encore roses… et puis, j’aurais aimé marcher vers le grand Nord, pas juste tourner en rond et être autorisée de sortie sur un bout de trottoir surveillé… ah oui, je vous l’ai jamais dit, mais vos sacrifices et vos manies de bourgeois ne m’ont pas fait rire, ni même impressionnée… je voyais les pauvres sourire pendant que vous comptiez vos maisons ruinant vos comptes épargnes, y a pas la maison du Bonheur sur votre Monopoly, merde… ah non, je n’ai pas non plus relancé la directrice du Crédit Lyonnais pour y travailler, ah oui, je vous dis merci pour m’avoir prêté de l’argent quand j’étais à la rue… je vous dis merci pour avoir parlé d’argent quand je pleurais, ça m’a vachement consolée… et toutes ces choses que je vous cache encore, vous n’avez pas envie de savoir, cela vous transpercerait la responsabilité, nuirait à votre dévouement et votre haute conscience. Oui, bien sûr, vous m’avez nourrie, de rillettes et de Nutella, à la bonne franquette, mais j’ai pas trouvé votre oreille dans le sandwich, pas aimé que vous ne soyez fiers que de ce en quoi je vous ressemblais, dites, vous aviez remarqué mes yeux, ceux de mon père, les yeux pas comme les vôtres, ben oui, puisque vous les détestiez ces accords parfaits avec ce diable, mon pauvre père maladroit et placide, celui sur lequel vous avez craché, celui qui m’avait fait avec votre fille, souvenez vous… vous aviez aussi sûrement remarqué que j’écrivais en mots vibrants pendant que vous corniez les rouleaux de 10Francs… mais là, vous avez eu peur, ah non, une poète dans la famille, déjà que la Mère a voulu faire l’artiste et que vous avez du L’inscrire de force dans une école d’infirmière, et que le père, vous avez du lui acheter des costards pour qu’il tourne pas hippie ou sataniste ou pire, chômeur… oui, une jolie vie que vous leur offriez à ces deux rescapés… et puis les mélanges, les imperceptibles vérités, les incontrôlables élans de liberté, ah non, vous ne pouviez permettre cette hérédité pernicieuse… du coup, je vous en ai volé de votre argent précieux, ah ça oui, j’ai compensé avec mon adolescence… J’ai fermé les portes, compté les clopes, touché mon sexe, dépensé les Pascal, enfin, tous ces p’tits trucs à faire quand on veut pas être trop commun, ah oui, j’ai branlé des garçons dans les autocars, et puis, parfois, quand il fallait sucer, ben, je le faisais parce que c’était plus sombre que de faire la majorette aux collants blancs au milieu des anciens marins ch’timis qui ont toujours le mal de mer… et puis, j’aimais beaucoup me battre, taper sur la tronche de ces nanas qui n’en voulaient qu’à mon apparence, mon statut alors que j’étais plus démunie qu’elles. Elles avaient le clan, j’avais le portefeuille gonflé des larcins bien ridicules qui gonflaient mon ego décharné. Je voulais être la copine cool, le faire-valoir par obligation, la nana épanouie par procuration…

Et puis, j’ai plus aimé apprendre, plus fixé le tableau noir, j’ai fini par adopter les punaises, croquer les stylos… j’ai usé les fauteuils des terrasses parisiennes, j’ai craqué des sièges de boîte, j’ai même essayé des robes de femmes, mordu fort sur des petites pilules de bonheur… mais derrière, vous rôdiez, petits membres de famille invisible… vous, les cloportes des seuils de portes fermées… vous vous glissiez dans mes draps, la nuit, pour emporter mes espoirs équivoques… je vous avais prévenu, avec mes tentatives de mur, mes regards au dessus de la voie ferrée, je vous l’avais dit que je partirais… avec ce ménage à faire les dimanches dans cette maison qui ne voulait pas de moi, et ces livres qu’Elle couvrait en mettant son nom dessus alors que c’est moi qui les lisait, et ces claques qu’Elle distribuait parce qu’Elle était impuissante et rancunière que je sois née… et ces cheveux qu’elle a voulu courts comme les siens, et ces femmes qu’elles apprivoisaient pendant qu’elle promettait un idéal social passéiste à ses parents, et ces gens qu’elle a amené sans que je puisse respirer… et cette place que je n’ai jamais eu… vous le vouliez tacitement, puisque je n’arrivais pas à vous appartenir, vous m’avez fait partir, j’avais envie de vidéo-sofa, de Club Mickey, de réunions de voisinage, d’enfance heureuse comme ils disent, d’adolescence suivie, pas dénigrée… ben, voilà, je suis partie, avec un post it sur la porte de sa chambre, avec un « good bye » laconique… j’suis partie à cause d’un pire que vous, qui m’a brûlé les yeux de poudre et le reste de la jeunesse, les miroirs sont cassés… si j’avais appris, si j’avais eu autre chose que peur, j’aurais su refus
er, j’aurais su dire non, mais quand on a rien, on dit oui à tout… j’accuse et je n’assume pas, nous voilà bien partis… ah oui, aujourd’hui, la vieillesse que vous prétextez pour oublier, la sagesse achetée en kit chez Leroy Merlin, votre approche mielleuse, vous en usez, vous voudriez que je rattrape le temps perdu (par qui ?), que je sois raisonnable, à trente ans, il serait quand même insensé d’en vouloir encore au passé, de ne pas grandir… que voulez vous, j’ai du pousser d’une mauvaise graine… dans un jardin secret que vous avez assez foulé… et mûrir serait pourrir… foutez moi la paix !

J’ai autre chose à foutre que d’exhaler votre âme viciée et bien assez de ce que je vis aujourd’hui pour désirer une renaissance… 1, 2, 3, soleil, encore…1, 2, 3 soleil…