mortelle (variation – ici aussi)

J’ai chopé une fâcheuse trouille de la maladie et la mort, pourtant, j’y ai toujours été confrontée, dotée d’une mère psychotique névrosée, malade chronique et aussi lointaine qu’un horizon, entourée de vieux qu’on (est un con) gardait à la maison en attendant qu’ils tombent sur leurs fémurs ou qu’ils s’aveuglent devant TF1, avec ces piliers de bar éternels qui jonchaient le sol du café de mes grands-parents, avec une famille (reniée) qui vit dans le passé, le conservatisme aigu et la trouille aux couilles d’un avenir forcément noir, avec un père dépressif affaibli par son anti-vie, déprécié par un clan du mauvais camp, quand j’ai donné ce baiser mortuaire à Edme, j’ai senti sa peau, pas le froid…

Oui, j’ai été aidée, assistée, normalement, j’aurais dû m’y habituer, m’y faire et m’y atteler mais voilà, je ne me sentais pas touchée, pas concernée, ils pouvaient bien mourir, moi, j’avais la vie devant moi et j’étais pas comme eux, les déjà morts.

 

Vingt années après ma vie, il y a eu ce vampire, le seigneur des saigneurs, celui qui m’a égorgée un soir d’automne, celui qui m’a emmenée dans sa barque de passeur canin. Il a sucé le jeune, le bon, craché de l’encre sèche dans mes artères et donné sa sentence… Personne n’échappe à la mort, certains même s’y précipitent en voulant lui échapper. Foncièrement, j’étais faite pour la vie, puis les choix et la paresse, les précipices et les toboggans m’ont rendue bien malhabile, la grosse boule sur un échiquier à bosses.

 

Avec cet enculé, c’était comme être assise face à la mort, pourtant face à elle, on la voit arriver, on ne craint que son désir, ce baiser qu’elle veut donner au creux des dents, craquer la langue, entrer au fond, on lui refuse tout mais cette salope feinte, joue avec des dés pipés, prêche la faux pour l’ivraie…

Après un septennat de mécénat pervers, j’ai crû qu’en réalité, je n’avais jamais eu peur de la mort, juste une envie tenace de la donner.

Aujourd’hui, aimée, amour’heureuse (c’est primordial), à trente ans à peine, me voici affligée de petites infections cellulaires, des caries vaginales, des rhumatismes névralgiques, tels des tord-boyaux dans les nerfs, alitée dans mon âme d’inuit, porteuse d’une obésité ingérable, indigeste, qui fend mes élans, même les soirs de grands vents.

 

Je sens mon corps appesanti, mon intérieur vermine, ma liberté vampirisée et mon entourage incertain… trop de choses encore à casser, et une fatigue pour construire…

 

La facilité des interventions envers les autres m’exaspère, chaque fois que je veux montrer, partager, je me retrouve les pieds dans le mur, les doigts dans les serrures, coincée à vouloir avancer avec les autres. J’aimerais souvent avoir le courage d’abandonner tous ceux qui croquent dans moi et partir loin, comme un rêve d’enfant en latence, et vivre un peu mieux, sans rênes, ni cordon, vivre pour moi, en deçà d’un égoïste impur, vivre pour moi, puis regarder les autres d’un peu plus loin… parce qu’en fin de compte, les autres me terrifient, et à vouloir les amadouer par le don plutôt que la distance, je me perds…

 

Et ce pressentiment, cet avis qu’on finit tous, par toujours mal finir… qu’on obtienne la chance de ne pas mourir seul dans un F1, qu’on se fasse tirer dessus comme un lapin, qu’on se soit exprimé tout le temps contre l’oppression, qu’on soit mort né ou né mort, qu’on ait qu’une montagne pour obsession, ça finit toujours mal… et ça, c’est même pas une grande théorie.

 

(art by Vanessa Clegg)