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Guide Du Strip Tease Chez Soi de Libby Jones
(Illustrations de Brenot, aux éditions
Tchou)
Pendant les périodes de fêtes, les écarts gastronomiques ravivent chez certaines l’angoisse du déshabillé à porter le 14 février qui approche à grand pas, chez d’autres, une tentation de luxure ‘décomplexante’ de pur plaisir digne d’une toile de Rubens. Je vous épargnerai ma prise de position entre ces deux possibilités non exhaustives et allumerai alors l’étincelle jaillissante de curiosité qui vient de naître au centre de votre iris.
Avec un libraire libertin, on espère toujours trouver l’article de décadence ou de ‘gentille’ perversion qui vous fera passer pour une originale et une femme libérée (mais si c’est assez facile), sauf que le libraire en question a passé l’âge de pérégrinations érotiques et le voilà, accoudé à ses cartons de livres chantonnant du Jean Ferrat, lequel est, malgré ses jolies bacchantes, l’antéchrist de l’érotisme, soulignons le.
Mon libraire, susmentionné, portant jacquard de tartan et chaussures sans fond, haletait vivement dans sa vitrine dite de Noël, avec quelques ouvrages de cuisine des terroirs, qui écraseraient deux anorexiques sous leur poids de papiers, dans une main et d’autres livres de vulgarisation ecclésiastique, propice à un certain retour d’un esprit de noël noyé sous les shopping bag, dans l’autre. Je pose le pied sur le carrelage brun, la clochette de la porte tintinnabule, l’odeur du vieux livre remplace le froid dans mon nez. Je m’apprête à saluer le noble commerçant quand mon œil est irrémédiablement attiré par un livre au format irrégulier, la couverture est criblé d’un rose aguicheur et d’un dessin de nymphette de la croisette, mâtée par un homme assis dans un siège Charles Eames en fumant une pipe, laquelle muse est un sosie de Brigitte Bardot (avant 24 ans) et Lova Moor (avant 24 opérations).
Mes mains empoignent fermement le livre et c’est Alain Bernardin (justement… fondateur du Crazy Horse) qui signe la préface.
Je cite :
« Mais oui, vous êtes « mesdames », le sexe fort. Nous, les « hommes », le savons, mais vous « mesdames », vous en doutez parfois. Lisez attentivement ce petit bréviaire d’amour. Essayez très sérieusement – l’amour est une chose sérieuse – de vous initier aux exercices décrits au fil des pages. (…) n’ayez aucun scrupule, puisez dans le folklore – make-up sur toute l’étendue du corps, – perruque incendiaire au ras des yeux, – faux cils géants, – boucles d’oreilles espagnoles, (…) – déshabillés transparents ou à franges, … »
Si Alain le dit… Je le saisis avec ferveur, sans oublier de perpétuer ma vieille habitude du marchandage, je l’achète mais ici, le libraire, couramment compatissant envers ma lubie des achats livresques, se retient, et ne me fait qu’un euro de ristourne, prétextant la rareté de l’objet. Soit, empêtrée dans ma fièvre de possession d’un tel écrit, je lance un billet sans me retourner et cours à la maison, le sac noir de circonstance entourant ce guide vers le Nirvana, profitant de l’absence de mon homme pour me délecter de quelques trouvailles inédites.
La page d’accueil me déconcerte déjà, « ce qui compte, ce n’est pas la robe, ni même la culotte que vous portez, mais la façon de les enlever ».
Voilà, je suis prise d’une émotion semi-forte, ce livre de 1969 aurait donc donné des solutions aux ménagères pour garder leurs maris (car il s’agit ici « d’Instructions Aux Épouses Ou L’art De Tirer Parti Devant Son Mari Des Avantages De La Nature »), et ma mère ne me l’aurait pas transmis, ce bijou, plutôt que de m’offrir pour mes seize ans un rosier blanc, signe de virginité et le célèbre « Je sais cuisiner » de Ginette Mathiot faisant partie de mon trousseau ?
Mieux qu’un Kama Sutra sponsorisé par Moulinex, ce guide entraîne la femme parfois frustrée, souvent peu imaginative, sur un chemin de plaisirs partagés pendant lesquels, la femme puise en elle un potentiel de Diane ou d’Aphrodite et parcourt une dimension fantasmagorique au-delà de toute espérance masculine (et féminine, mais c’est moins dit…).
Quelques indices ? (Je vous sens impatientes, mesdames, et attisés, messieurs) :
Après quelques croquis, dignes des mouvements filmés au ralenti de Véronique et Davina, établissant la nomenclature des accessoires à porter (puis à enlever), comme les porte-jarretelles, les bas, les chemisiers et les mules, la section des « mouvements » (illustrée par une femme « pantin » tenue par des fils) annonce les couleurs roses et rouges des actions à exécuter :
« La danse des seins », « l’effet de croupe », « le cerceau » (j’avais d’abord lu le cerveau mais un cerveau ne danse pas, madame), « le petit écart », « La démarche sautillante » (où l’on voit une femme nue mimer l’émeu), « la charge » (où l’on voit un geste de lévitation du poing, façon féminisme engagé, couvert d’une courbure dorsale digne de lutte gréco-romaine).
Vient ensuite, pour les très mauvaises élèves, la section des « ultimes recours », où les bases sont reprises, les évidences remises en évidence du genre « n’oubliez jamais votre cache sein ainsi que votre maintien », ou « ce n’est pas parce que le maquillage est ancestral, qu’il vient du théâtre, qu’il faut réduire le répertoire si multiple et riche à un vulgaire travestissement de bas étage… ». Enfin, quelque assurance d’une beauté, peut-être méconnue, est divulguée afin de convaincre la femme au foyer, qui s’endort, éreintée devant les « feux de l’amour » en épluchant les patates : « sauf cas médical, tous les yeux sont beaux ou peuvent l’être. (…) que de femmes, teint
de navet, nez triste et bouches sans lèvres, ne bariolent que leurs paupières. »
Et si la lecture vous ennuie, sachez apprécier les planches de Brenot célébrant la Pin Up sous les doigts amusés de marionnettistes, contorsionnez vous au rythme des croquis, telle une Shiva amusée par les sons stéréophoniques d’Aphrodite’s child, apaisée ensuite par une main surgie des lumières tamisées, main réconfortante et récompensant tant d’efforts accomplis grâce à ce guide de tous les chevets.
Les chatteries et autres délices stratégiques sont nommées, illustrées et épiloguées. Si après tous ces conseils, la Salomé qui sommeille en vous ne retire pas son septième voile, c’est que vous êtes plus empotée qu’une jarre à huile d’olive de l’Antiquité.
© Milady Renoir
Représentante en Belgique du test achats seconde main des ouvrages de bon usage.
PS : si vous insistez, je vends des photocopies couleur de certaines pages croustillantes.
Article paru sur ECLIPSHEAD

