ce corps, dense

Arrivé matin, la lumière de la salle de bains âpre et crue a déchiré une trace dans le miroir, mon corps blanc, incrusté de graisse, symbole d’inertie, sort droit et large devant mes yeux.

C’est une masse échouée sur la ligne debout, il dérive en se mouvant par us. Ce bloc tordu, étoupé dépasse du cadre principal, rase les escaliers, enlève les poussières sur son passage. Je l’observe, il n’est presque plus à moi, il est à l’opposé de ce que je connais, supporte, je le lave hygiéniquement, je frotte les rebords avec bravoure, décalque quelques couches sous la force des doigts, rien ne se soulève, rien ne de dissout, tout est serti de chairs.

Mon corps descend, il s’attache à la chaise, se laisse glisser le long du bois. Il fait le mort. Il sèche en plein froid. Ce corps épais, patrie de l’oubli et du néant, gît au centre de la pièce, comme un trophée de seconde main. Je le refuse mais il me retourne une vérité si bonne à rire.

Ce corps, tombé dans un chenal en descente, suinte de quelques certitudes, surtout celle de ne plus être manifeste. Je l’enveloppe dans un drap noir, je le transporte au dehors, sur un bout de rue d’invisibles et d’inconnus. Il déambule maladroitement à travers les ombres et s’essouffle après douze pavés. Je le coince dans un reflet, le cogne et le remaquille pour qu’il avance encore un peu. Ce n’est pas encore aujourd’hui que ce corps est à vendre…