Il a fallu que la couleur arrive, qu’elle tinte la peau, qu’elle éclabousse contre le derme, non, je ne suis pas morte, la preuve resplendit. Il a fallu le coup rude, for pour que le sang remonte à la surface. Le feu agite mes jupons, la chaleur s’infiltre le long des cuisses, mon sexe se prépare, il va gonfler. Je suis prête. Je me le répète, je répète vivante. Je me teste, je place l’œuf en haut de mon coude, je suis droite, l’équilibre me donne une allure. L’œuf roule mais ne s’écrase pas. On continue. Elle a cet air, celui que je n’ai pas, ces sens métalliques et droits, ces mains altérables mais rigoureuses, ce corps long, cylindrique et perpétuel. Elle sait que je brûle. L’œuf casse au sol, j’avais oublié qu’il roulait encore. Elle se retourne, le jaune d’œuf est sur mes yeux, je ne vois plus que son rire. La matrice embryonnaire dégouline le long de ma joue, il ne sera pas matrice. Je me cache derrière les bocaux, les femmes dissimulées dans la cave composent un rempart. Toutes assises dans l’humidité, nous attendons le repas, le grand festin. Je voudrais être cuite ce soir, bouillie à la menthe, marinée aux piments… son regard me soutien la colère. Je suis une viande vivante, elle en doute ? Je saisis le feu qui dérouille les broches, je le jette dans mon vagin tout en le laissant cracher le surplus, les étincelles l’atteindront peut-être, cette femme trop belle. Elle ne crame pas, pourtant, sa main a brûlé. Petit monolithe aux dermes de cuir, indestructible petite boule de nerfs vifs, rien ne te décompose. Elle est installée au centre, geignant, chaude et fragile. Elle se tranquillise à l’aide des autres femmes qui la plaignent et la haïssent en confidentiel. Je veux la noyer, la pêcher, l’enfermer dans on bocal originel… puis tirer sur ses ouïes blanches… une petite cruauté pour une grande injustice… noyer cette koï avec sa queue voilée, élaguer ses bras, écarteler ses gencives, griller sa bouche carmin… je vois ma dent qui crève son cou… elle serait rouge, aérée, ouverte… lascive par dépit. Je masse ses joues avec ma chevelure, je me penche au dessus d’elle et lui vole son oxygène. Je m’étouffe avec ma salive tellement je suis excitée… je piétinerais sa terre… je me dévêtis, je veux être pure. Les femmes m’observent, font attention, je suis belle, enfin. Je fais de la rétention d’eux, je pince mes tétons pour qu’ils reflètent le blanc de l’ampoule qui se balance, le vasistas transpire, les souffles tiédissent. Je suis rose bonbon, son rouge va faire peur. Ils ne la choisiront pas. Les femmes connaissent le sang mieux que quiconque, c’est pour cela qu’elles n’ont pas peur, mais elles ne le montrent pas. La porte en haut de l’escalier s’ouvre, un des sexes d’homme précède le premier. Je lève mon bras. MOI, MOI, MOI, je suis nue, rose, elle est couverte de vers, de mites, de plasma. Pourtant, assise sur son séant de boue, son plastron attire l’œil. Elle ne s’offusque pas de mon crachat, ni ne s’incommode de mes chaleurs. Je m’accroche à ses hanches fugaces, tire sur sa robe de chairs vives, je la dépèce comme un vulgaire lapin, je suis la reine de la curée. Bientôt je distribuerai ses oreilles, sa queue de cheveux aux plus viandards, ceux qui ricanent seront les premiers nourris, ceux qui pleurnichent seront sacrifiés sur cet autel de bourbe. Toute la beauté lui ressemble encore, les arbres, les rats et les hommes la complimenteraient si elle était vide. Ils diraient que cette mode des chairs externes est d’un exotisme purulent, d’une inventivité infectieuse. Je leur dirais qu’elle n’est qu’une marionnette, que derrière le corps qui gigote, je suis la grande main. Chaque veine est une ficelle que je tire avec rage. Cette débandade organique, c’est ma responsabilité. Elle n’est encore entière que parce que je suis vivante. Tant que je respire, elle bouge. Mais si je tombe de mon tabouret, elle éclate. Mais ils s’en surprennent. Toute durcie de haine, mon venin m’assassine, ma force s’asphyxie. Elle a le corps répandu sur le sol, son sourire, dernier témoin de son pouls désespéré. Sa fin est romantique, dit l’une des vieilles femmes. Une qui l’avait bien aimée ajoute qu’elle l’a toujours admirée, une artiste trouve que c’est une superbe performance que de mourir dans le pire. Je suis vivante, maîtresse de son corps et elles sont aveuglées par son joli sang qui coule comme un ru de campagne triste. Sa douceur macabre amuse encore quelques vieilles jalouses, rien ne se retourne sur mon soupir. Morte et vivante, rien ne leur donne ma teinte. Je rappelle mon sexe à la puissance… qu’il jaillisse là, ce serait le moment… mais son flux vient éteindre mon feu. Les gouttes à peine coagulées me collent sur les talons, je suis immobilisée par sa dépouille. JE CRIE : Je suis un amas de glaise divine, elles ne comprennent pas. Je suis un Gollem colérique, une fière colique de chairs vivantes… »
L’écho se fout de ma gueule. Un autre sexe d’homme pioche dans les femmes dispersées par la peur et l’emmène sans que je sois choisie… Et pour dernier affront, elle meurt encore une fois en soupirant qu’elle m’aime, parce que je suis sœur. Je l’écrase et m’endort contre mon mur.
© Milady Renoir
