Je suis un homme, lambda, alpha, oméga. J’arbore gonades fières, mains puissantes. Mon sexe est fort, en relief, mi-tendre, mi-agressif. Je découvre mon repère, mon ordre établi, ma catégorie, je suis homme unique par naissance, indivisible par essence, multiplié par principe, généré par hasard. Je grandis seul au milieu du monde, lequel je rejette pour la raison qui m’échapperait bientôt. Le monde contient des femmes, les contraires qui m’attirent, les analogies qui me font déguerpir.
Mes poils et muscles dominant, je perce ma timidité à coup de joutes, de luttes, de tentatives, de pensées avortées, d’idées balancées puis referme ma porte pour un échec vérolé, un horizon mal perçu, un spleen mal traversé.
Un tiers de vie en retard, je répercute mes expériences sur la prochaine décennie dite plus transparente. Je visite les banques, les pays lointains, les lits plus vastes, des listes plus longues. Tout est accessible, visible, possible.
Tout m’assure que je suis un homme. L’image et le fonds se rejoignent, je contiens ma force jusque dans mes faiblesses. Il m’arrive de reconnaître ma solitude morne, d’avancer ma fébrilité devant le miroir pour constater mon évolution. Mais je respire la hauteur, la grandeur, l’abondance.
La crise de la moitié, cette crise de manque face à une identité pourtant établie, radicale.
D’autres femmes, d’autres contrées, d’autres numéros gagnants. Mes yeux boiteux fixent mon regard prémuni, ils croient savoir, je ne sais plus. Ma lumière est honnête, alors que mon ombre est gauche, bancale. Certains soirs, je sens la sève s’évacuer, si ma source est connue, mes affluents assimilés, l’embouchure est imperceptible, incohérente.
Je rôde autour de mon corps flétrissant, mollissant. Je possède des biens, des maux pourtant rien ne me préserve d’une terminaison lugubre. Je fais la file, l’histoire est la même pour tous les hommes, je sais être l’un d’entre eux, j’ai mon ticket de sortie, l’embouteillage est illusoire.
Pour nourrir mes coins décharnés, je consomme des vierges à peine affranchies, j’oblitère leur jeunesse, couronne leur beauté. Je pratique les sports de représentation avec l’acharnement du condamné, tel le pendu excité dans sa minute de la corde vacillante. Je crains le pire pour le sentir déjà.
La vie est un lac qui s’assèche sans soleil, une frise historique en peau de chagrin. La solitude désirée autrement me poursuite jusque dans mon lit. Ma nudité ne profite qu’aux infirmières qui la rejettent comme un vieil ustensile de cuisine rouillé. Je perdure dans l’existence malgré moi ; mes organes s’essoufflent, mes besoins ne jurent que par l’assistance, mes envies fondent dans des fantasmes voraces, obsolètes.
Je fais la quête à l’amour, je prie pour la reconnaissance, psalmodie contre un dieu ingrat, calciné, je ne suis qu’un homme, après tout, après tous ceux là, avant tous ceux-ci.
Toutefois, cette divine question, ce but à accomplir, ce tampon du visa inconnu, tous se sont absentés pour devenir une seule réponse, terrestre, docile, laquelle je commence à déchiffrer, mon nez collé au pied du mur blanc de ce surprenant portique.
Le temps complice se fait maîtresse. Je sers la crosse de la grande aiguille qui me sert de canne, je m’assieds doucement au bord du grand lit blanc, et attends patiemment que le silence entre royalement.
© Milady Renoir
Art by Michael Kvium

