« Certains passages sont surréalistes, l’auteur divague, joue avec les mots, rebondit et par ricochet déroule ses phrases qui parfois sont absurdes, fantasques, insensées. D’autres pages au contraire sont très réalistes et relatent le quotidien d’un type rejeté parce qu’il pue, boit, vit en marge. (…) C’est un texte très original, étrange, en marge de la République des lettres. »
(Critique de Conquête du désastre par Anne-Sophie Demonchy, La Lettrine, juin 2008).
L’écriture colle au récit et l’un et l’autre ne peuvent laisser insensible. Corrosif et poétique, le style de FP Mény prend aux tripes et répercute l’urgence de vivre et d’écrire.
Deux mois après la parution de Conquête du désastre, FP Mény est retrouvé mort dans une grange de Corrèze. Avec lui, pour seuls biens, son vélo et ses textes. Ses 43 années de vie, d’errance et d’écriture sont livrées en témoignage dans ses livres.
Entre poésie et réalité, FP Mény tente d’expliquer sa vie d’errance et d’écriture en remontant le fil de sa propre existence. Tour à tour acteur et observateur de son cheminement, il dévoile tout et sans concession aucune, ni pour lui ni pour ceux qui croisent sa route. À travers un récit très personnel, il dresse le portrait de la société et celui de nombreux anonymes, au fil des rencontres.
Entre coups de gueule et coups de plume, l’auteur se dévoile, pourfend, critique, dénonce, parfois avec excès, toujours avec vitalité et espoir.
Car, au final, il ressort des écrits de FP Mény un appétit insatiable pour l’humain et la vie.s’adresse à tous ceux qui se soucient de la part souffrante de notre société. À ceux également qui recherchent les écritures originales et les approches atypiques de la littérature.
Sulliver s’était engagé à publier Homeless story avant le décès de FP Mény : Homeless story est le quatrième livre de la collection « littératures actuelles » et le second de FP Mény aux éditions Sulliver.
Extraits :
– Le fait de vieillir sans avoir jamais rien fait pourrait s’apparenter à une sorte d’exploit personnel, mais pour notre génération vissée au No Futur et sustentée au RMI, ce n’est que la pierre angulaire, une marque de fabrique qu’on est pas près de revoir.
– Au bout du compte, pas de quoi crier venez voir. Le problème de vivre au jour le jour, c’est que quand tu regardes derrière, y’a rien, et un jour ou l’autre, tu finis bien par te retourner, alors là, c’est la claque et de deux choses l’une, ou bien tu réagis en espérant qu’il soit pas trop tard ou bien tu te défiles avec plein de connards qui t’amènent l’addition alors que t’as rien demandé et que t’es plutôt habitué à te barrer sans payer.
– Avoir jamais bossé, avoir jamais eu de logement, la vie de famille, n’en parlons pas, hors zone.
Il a tenté les arts martiaux, une séance n’a pas suffi à raviver son physique d’ablette, trop d’investissement.
– C’est trop naze ici et On s’en bat les couilles durant une putain de paye d’années nous ont servi de viatique avant de s’apercevoir qu’on avait les poches trouées.
– Dire qu’on peut se fier à notre entourage pour en quelque sorte savoir où on habite, et je te dis pas le travail. La marginalité, c’est possible jusqu’au bout, mais moi, je suis trop animé de forces contradictoires, ou bien comme fait Damien, mieux vaut tard que jamais, tracer la route dix ans plus tard en camion, de toute façon il y aura toujours de la place à travers le monde quand chez nous on n’y verra plus clair, ça changera pas mais moi je refuse maintenant de faire les choses à perte.
Le truc, c’est qu’à force de se la jouer ultra-individualiste, on y a laissé des plumes, on fait rien sans personne et aujourd’hui le problème, c’est que les amitiés qui te portent vers d’autres horizons, elles viennent de loin.
Demain, je mets le réveille-matin et je remonte le temps.
– Nous sommes nombreux à avoir fait les beaux et à déchanter dans nos clairières, tellement à la merci du regard des autres, mais c’est pas grave parce qu’avec un peu d’intelligence on trouvera toujours un truc à faire et que la deuxième partie de notre vie sera encore meilleure que la première parce que la première nous aura servi de leçon.
– Moi je veux bien que les considérations sur le monde soient sans importance mais alors dans ce cas, il faut faire autre chose.
– Je finirai pas au fond d’une grande surface à étiqueter les barils de lessive et tant pis si la réussite se mesure à l’aune des filles.
– Un jour, on croit à ses amis qui deviennent trop différents et l’on passe par la portière passager sans états d’âme.
– Bien sûr qu’on peut se trouver à coté de la plaque, nul besoin alors d’avoir le nez dessus, on peut pas être partout.
– La camaraderie qui t’enfonce de sa condescendance se bazarde derrière le miroir où on se regarde le matin fiévreux comme un pinson.
– D’abord notre jeunesse dépolie par la lumière et les fastes de jupes personnifiées puis le cours a changé et le toc l’emporte et charrie ses alluvions où quelque part nous a vu naître et on se décarcasse à trouver la caverne.
Parution janvier 2009 – 13 x 20
cm – 160 pages – ISBN 978-2-35122-049-8 – Prix : 15 €
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Prière bohémienne
À tous les bohémiens, les bohémiennes de ma rue
Qui sont pas musiciens, ni comédiens, ni clowns
Ni danseurs, ni chanteurs, ni voyageurs, ni rien
Qui vont chaque matin, bravement, proprement
Dans leur petit manteau sous leur petit chapeau
Gagner en employés le pain quotidien
Qui sourient aux voisins sans en avoir envie
Qui ont pris le parti d’espérer
Sans jamais voir de l’or dans l’aube ou dans leur poche
Les braves Bohémiens, sans roulotte, ni chien
Silencieux fonctionnaires aux yeux fatigués
J’apporte les hommages émus
Les espoirs des villes inconnues
L’entrée au paradis perdu
Par des continents jamais vus
Ce sont eux qui sont les plus forts
Qui emportent tout dans la mort
Devant ces bohémiens, ces bohémiennes de ma rue
Qui n’ont plus que la nuit pour partir
Sur les navires bleus de leur jeunesse enfuie
Glorieux oubliés, talents abandonnés
Comme des sacs tombés au bord des grands chemins
Qui se lèvent le main cruellement heureux
D’avoir à traverser des journées
Ensoleillées, usées, où rien n’arrivera que d’autres embarras
Que d’autres déceptions tout au long des saisons
J’ai le chapeau bas à la main
Devant mes frères bohémiens
Qui sourient aux voisins sans en avoir envie
Qui ont pris le parti d’espérer
Sans jamais voir de l’or dans l’aube ou dans leur poche
Les braves Bohémiens, sans roulotte, ni chien
Silencieux fonctionnaires aux yeux fatigués
Les espoirs des villes inconnues
L’entrée au paradis perdu
Par des continents jamais vus
Ce sont eux qui sont les plus forts
Qui emportent tout dans la mort
Qui n’ont plus que la nuit pour partir
Sur les navires bleus de leur jeunesse enfuie
Glorieux oubliés, talents abandonnés
Comme des sacs tombés au bord des grands chemins
D’avoir à traverser des journées
Ensoleillées, usées, où rien n’arrivera que d’autres embarras
Que d’autres déceptions tout au long des saisons
Devant mes frères bohémiens
Félix Leclerc, Poète québécois (1914-1988)

