« la dernière pierre » – fiction de Christine Van Acker

avant hier soir, malgré sinusite et fatigue organique, me voici au milieu d’une bibliothèque aussi appelée Maison du Livre. 

J’y retrouve Christine, Thierry qui m’ont accueillie récemment chez leur chez eux doux, vert et ombré. Leur maison d’hôte est une recommandation, autant que leur table.

la soirée est une lecture. Deux parties. Je ne mentionnerai que la première (je suis pourtant restée pour la seconde mais je préfère ignorer celle-ci).

trois jours avant la lecture sus-mentionnée, j’avais trouvé par hasard à Pêle-Mêle un exemplaire de ce livre que je voulais découvrir ce soir là. Entre Garcia-Lorca et Lautréamont, Christine Van Acker. 

ce livre, petit mais costaud est La dernière pierre.la dernière pierre

La lecture est audio sans visuelle. On écoute les voix et on entre dans cette pierre, dans cette vague qui tourne dans le granit. On devient le pied, la main, le coeur qui marchent au creux de cette pierre. On (re-)devient la pierre qui roule, qui subit le frottement. On devient la poussière humaine que le sol recueille. C’est une histoire, une lecture, un texte infernal, moulé comme un poing. Ci-dessous, les choses autour du texte et là, la fiction en toutes oreilles qui dure 27 minutes. Prenez votre temps.

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Christine Van Acker – La dernière pierre.
Illustrations : 
Stéphanie Buttay. Préface : Chantal Couliou. Collection Pleine Lune. 38 pages sur Bouffant crème. Couverture sur Keay Colour.           Format 14 x 16 cm.
ISBN : 978.2.930.235.89.9. Prix : 
9,00 €

(Il y a longtemps, à Sintra, au Portugal, un homme fut emprisonné à vie dans une tour. La seule chose qu’il pouvait y faire c’était marcher en rond. Il a tant tourné que le sol, aujourd’hui, en garde la marque ronde et creuse.)

Christine Van Acker est née avec l’invention de la « priorité de droite » en 1961. Elle a vécu son enfance sur un bateau et, aujourd’hui, elle n’est pas encore certaine d’avoir tout à fait le pied terrien. La dernière fois qu’on l’a vue, elle habitait dans un joli village qui s’appelle Lacuisine, en Belgique. Son tempérament nomade nous empêche de vous en dire davantage à ce jour.
Lauréate du Grand Prix SGDL 2009 de la Fiction Radiophonique pour « La dernière pierre ».

Née en 1968 au bord du Léman, Stéphanie Buttay traversa le lac et découvrit les auteurs de la Collection de l’art brut (Lausanne). Elle commença alors à jeter ses fils et ses lignes sur le papier. En 2005, elle a présenté son travail dans le cadre des Visions et Créations Dissidentes du Musée de la Création Franche (Bègles, Gironde), où elle figure désormais en tant que « créatrice concernée ».

Editions Les Carnets du Dessert de Lune, 67 rue de Venise, 1050 Bruxelles -B- dessertdelune@skynet.be  http://www.dessertdelune.be 
ou chez l’auteur : 
les.grands.lunaires@skynet.be 

Un extrait : 

 Je suis autour, je ne suis pas dedans.
Il est dedans, dedans la tour.
Il tourne, il tourne. Il ne se retourne pas.
Droit devant.
Chaque pas est le premier.

Il en fait un, il en fait dix, il en fait cent.
Et un autre qu’il n’a pas encore fait.

Je suis dehors, je ne suis pas lui.
Il tourne depuis cent ans.
Le sommeil, il ne le trouve plus. Le sommeil, c’est
derrière lui.
Il ne se retourne pas. Droit. Devant. Il tourne.
C’est de l’air traversé, c’est de l’évasion bon marché.
Quand on marche comme ça, on va forcément quelque part.
Il y va.
Je suis entrée. Non, je ne suis pas lui.
Pour les pierres de sa cellule, des tailleurs ont tapé fort,
coups après coups, ils sont venus à bout de la roche
brute, de la veine sauvage.
Ils lui ont donné une forme.
Alignées, ajustées, ces dalles sont faites pour durer plus
que ne durent les hommes, les fils des hommes, les
petits fils des hommes.
Lui, il tourne, il marche, il court, il appuie ses pas, il les
glisse, il les frotte.
Et la pierre commence à s’émouvoir. Elle s’use, elle
cède, se laisse prendre par cet homme qui oublie de
dormir, qui a tant de chemin à accomplir devant lui
avant qu’on ne vienne, peut-être, demain, le sortir de là, les pieds devants.

La pierre s’incline sous cette route infinie qui le mène depuis un an, depuis dix ans, depuis cent ans.

Je suis là. L’homme n’y est plus.
Il y a si longtemps de ça.
C’était du temps des histoires de princesses qui
dorment cent ans, des princes libres de venir les
embrasser et de repartir au loin, droit devant, tout
droit, plus loin que le bout de la terre tant leurs coeurs s’emballent quand ils aiment.

Je regarde la pierre creusée, le cercle étroit, parfait, sur le sol de la prison.
J’y place mes pieds. J’avance. Je tourne.
Je ne suis pas là.
Je ne suis pas lui.
Je suis entrée, non, je ne suis pas lui.
Je suis là.
Il y est.
Encore.
Nous y sommes. Nous tournons.
Ensemble.
Un an, dix ans, cent ans.
Un pas, un autre.
Jamais.
Le même.