
« Les poissonniers des environs firent ma connaissance (…) Je n’énumérerai pas la liste des espèces achetées : sachez seulement qu’il était inutile de les préparer. L’ondine les dépeçait. Ses petites dents rieuses se chargeaient de la besogne. Toutes baveuses, elles les perçaient. De trous en arrachements, la chair était à vif. Cette vie, qui avait connu l’agonie dans les bateaux puis les étals, s’achevait définitivement dans la gueule de la créature. Le sol était jonché d’organes disséminés non sans grâce : d’aimables peintures de variétés marines. Une bonne partie flottait à la surface de l’eau : elle en avait aussi foutu des morceaux sur les dalles de la piscine. Joueuse, l’ondine en jetait parfois un bout en l’air, le regardait tomber à la surface l’eau avec indifférence puis se jetait dessus, l’emportant vers le fond. Je ne parvenais pas à voir ces dévorations sous-marines tant la saleté avait envahi le lieu, sans oublier les nombreux remous que provoquait l’adorable monstre. Quoique transparente à l’origine, et non glauque comme celle de l’étang où j’avais pêché (sans hameçon !) ma belle, l’eau ressemblait à ce corps mythique : déployant des plis comme les lames d’un éventail. »
Marc Blanchet, « L’Ondine » (L’Arbre Vengeur, 2010).
(illustration by David Lachapelle)
