Jean-Chasse, un des gardes du corps patriarcal

Texte écrit pour un journal intime et puis ce lundi, comme un besoin de le rendre extime, entre 7659 #MeToo et un énième rêve malin.

TRIGGER WARNING / Traumavertissement : violences sexuelles et viriarcales. 

jean-charles, t’étais un des gardes-chasse, un des copains de mon grand père,
copain de chasse de tous gibiers, le gros comme le menu fretin,
copain d’apéros et de boutades graveleuses, un vrai cliché de garde chasse sur pattes, comme dans les contes ruraux ou un épisode classiste de strip tease.
T’étais gros et gras, jean-charles, pas que je sois grossophobe du haut et large de mes 100 kilos (t’aurais été maigre que je t’aurais craint-haï pareil), ça donne une idée de la peau souvent imbibée de sueur, de tes joues rouges, tes doigts boudinés que je percevais comme dégoutants. T’étais surtout gras de tes vannes, de tes blagues. T’étais surtout gros parce que 5 fois mon âge et 5 fois mon poids. Laisse-moi te salir. J’étais tout le temps gênée quand tu étais là, et ton fils Cyril, du même âge que moi, et, avec mon grand-père, avec ma grand-mère, vous rigoliez, vous demandiez si on se bécotait, et puis vous prévoyiez que Cyril et moi, on serait mari et femme, chasseur et femme de chasseur, ça faisait bien chier d’avoir une camaraderie de gamins teintée de déterminisme relou. Je me souviens pas tant mais même ton fils avait la gêne en ta présence, lui aussi rondouillard, nourri aux pâtés de gibier et patates au saindoux, comme moi socialisé dans un troupeau de chasseur, chaque dimanche matin froid de la période de chasse ouverte, en novembre, à se cacher sous les bâches accrochées aux 4×4 boueux en mimant parfois curieusement des actes qu’on ne désirait ni n’anticipait
mais qui auraient bien été encouragés puisqu’à 10 ans près, on aurait pu être mariés. 

Paraît que la puissance des fusils, le pouvoir des priapes de feu, paraît que ça crée du désir, un plaisir qui vient de la possibilité de violence, de la possibilité de force sur le vivant, qqch qui relie éros et thanatos, a bien dû dire Freud ou autre chasseur de salon, ben, en tout cas, pour toi jean-charles, c’est bien à la chasse que tu prenais tes aises. Faut imaginer qu’à mes 10 ans et demi, j’avais déjà mes règles, des seins déjà 85C, des déjà larges hanches, j’étais ferme et ronde, densité d’os et de muscles pré-pubères, la conscience du déjà danger, aux aguets pour en avoir croisé d’autres que toi, jean-charles, (un jean-françois, un patrice, un …) aux repas de campagne, dans l’arrière salle du café des grands-parents, faut croire que y a comme un système qui relie hommes, chasse et jeunes filles, oh wait, oh oui les mythes antiques, les viols tributs, les punitions et les récompenses entremêlées, oh merde, un truc bien universel, bien transculturel, bien éternel… attends, je reviens à toi, jean-charles, c’est de toi dont je me souviens le mieux (enfin, aujourd’hui, parce que femme varie). 

 Je sais plus quelle chasse c’était, une battue de sangliers ou une matinale de perdreaux, en tout cas, y avait du monde, une quarantaine d’hommes, quelques femmes, quelques ados et moi. Tout le monde en kaki et en connivence. Mon grand-père et toi étiez les meneurs. Certaines des épouses organisaient le repas sous une grande tente bâche army. Pâtés, rôtis, cuissots marinés, féculents, de quoi revigorer les corps épuisés de tirer sur d’autres corps épuisés.
AH mais on n’est pas des viandards, nous, nous on défend la nature, on la connait, on n’est pas les bobos écolos parigots têtes de veaux. Si, si, y a 40 ans, ce discours en boucle dans la glotte des BONS CHASSEURS. Sur la table, des vins de la région, avec sulfites, et puis de la gnôle alias de l’eau de vie, eau de vie : belle métaphore renversée pour une table de chasse. Dress code : Barbour Barbare Aigle, les marques de style avec des trous d’usure et des goûts de sueurs.
Jargon : appeaux, guêtres, musettes, cuissardes, gilets polaires, fuseaux, vestes de traque, veste anti percussion, bottes style Sologne ou Rambouillet, toujours une possibilité de transcender sa classe à coup de codes de chasse à courre et de propriétaires terriens à cent chiens, toujours ce besoin de paraître plus, parce que si c’était que de la tuerie organisée, ça ferait trop réel et trop gueux cul-terreux.  

Bref, le décorum est planté, jean-charles, je vais dire ce que tu m’as fait. Bon, tout le monde a deviné mais je le dis quand même. Pendant que ça mangeait, ça rigolait des blagues et taquineries, pendant que ça cuvait les glucides et les lipides, pendant que les épouses faisaient la vaisselle, tu m’as trouvée dans la cabane d’affût. Pas de souci pour monter à l’échelle malgré ton look de Shadock ankylosé et ton état d’ébriété, t’étais venu voir où était Cyril, si on faisait des cochonneries, du coup, comme Cyril était pas là et que t’avais dit le mot cochonnerie, tu t’es dit autant en profiter, alors t’as été comme le copain de mon grand-père, genre un tonton au début, genre, reste pas seule comme ça, pourquoi tu boudes ? t’es souvent dans ton coin, y a les autres là bas, tous ces mots là, c’est vraiment un gimmick cinématographique, une rengaine narrative, l’image de l’isolement pèsera encore des années après, être seule découle en punition, donc tu t’es dit que t’allais me ramener à la collectivité, à la sociabilité en me foutant tes doigts boudinés dans ma culotte semainière avec écrit dimanche dessus, enfin, pas juste dans la culotte mais aussi dans mon vagin, tu t’es dis que vu que t’es un peu de la famille, que j’allais peut-être marier ton fils, que ces gestes là tenaient plus du test d’alliance que du zeste d’inceste ?
Puis, j’ai dû garder ma main dans la tienne, pas celle qui brûlait mon pubis, et tu as amené ma main à aller tâter ta gâchette turgescente, ton bourrelet boursouflé qui appuyait sur la braguette de ton pantalon fourré de loden, et là, j’ai poussé dessus comme le klaxon du tracteur – chacun ses références – j’ai appuyé dessus, je crois que je me suis dit que si je te rendais ce service, ce délice, ben, t’allais lâcher l’affaire de mon vagin, que j’appelais pas vagin à cet âge là, à 10 ans, on nomme pas sa chatte, sa vulve, ses lèvres, on reçoit le mot zézette, quéquette mais c’est pas dit clairement que ça peut pas rester des mots d’enfants trop longtemps. 

jean-charles, je pense que je suis plus vieille aujourd’hui que toi quand tu me pelotais, j’me suis pas mariée avec Cyril, mon grand père est mort sans savoir quelle enflure t’étais, peut-être qu’il t’aurait tiré dessus comme un sanglier et que ta tête aurait trôné au dessus de la cheminée ou dans les chiottes, peut-être qu’il t’aurait rien dit et permis de rester copains, peut-être qu’il m’aurait consignée dans ma chambre quand tu venais. J’ai reçu un permis de chasse à mes 16 ans, avec un rosier blanc et la précaution de ne jamais ramener de noirs ou d’arabes à la maison, c’est con qu’on m’ait bien interdit tous pleins de trucs qu’heureusement j’ai appris seule à transgresser, et qu’on ne t’ait rien interdit à toi, le bon copain de chasse, mort d’une cirrhose du foie et d’un cancer des années plus tard. 

Un vrai cliché que t’étais, un vrai cliché que cette histoire, n’est ce pas ? 

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