16 mai – Nantes – « Porte-fenêtre » – revue sans papiers d’un jumelage entre la revue Bouclard et Papier Machine

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L’architecture, l’ouverture, la sortie, la fuite, l’échappatoire, l’ambiguïté d’une issue qui n’est ni l’un ni l’autre mais sûrement un peu des deux. » Une quinzaine de minutes. (Merci Lucie Combes & Valentine Bonomo pour la confiance renouvelée et Leslie Doumerx pour la complicitétété)

Lecture accueillie par la Maison de la Poésie de Nantes et Marietta, ancien café ouvrier rénové en espace polyvalent:

Droit de regard

Elle enfonce sa main dans la chambre de visite
une mélasse pestilente enrobe ses phalanges
quand les fosses ne sont pas vidées à temps
ça déborde, ça rend l’espace mouvant

elle ne retire pas son bras tout de suite
afin de ne rien éclabousser
elle maintient son apnée
et veille à ne pas se mouvoir

elle se conforme au pénible
son super pouvoir d’hyperadaptabilité,
dans cette situation et dans toutes les autres
elle ne dépasse pas, aucun bond,
à peine un frisson

entre désarroi et sidération, elle ne bouge pas
est-ce une forme de gaucherie
de s’empêcher de réagir, d’admettre
alors que l’angoisse du monde extérieur saisit
sans cesse, sans cesse, sans cesse

Est ce qu’elle rationalise pour ne pas se laisser déstabiliser?
la pensée magique est un mouvement électrique,
dans le cerveau, le pétage de voltage frise
devenir l’excès,
invisiblement

Les sirènes des Jeep, les sirènes des ambulances
les chiens qui accourent, les gens qui aboient
des pneus crissent, des objets basculent
les murs dégorgent de poussière
des morceaux de plafond coulent sur la table de verre

frisson général, un dommage collatéral, ou uni-létal
un séisme qui n’épargne pas les oiseaux
sans nom, ni prévention
une météo digne d’une fracture ouverte

Des gens restent debout sur les bords des étages
Les rognures de limaille déblatèrent hors du ciment
pagaille de plâtre, de papier peint, de tapis

Une image de la terreur mélangée au familier
une sorte d’universalité esthétique du saccage
le jouet au sol, le cadre photo doré, brisés
Elle regarde le calendrier évanoui au sol
le jour du jour plié dans le jour de la veille
le jour d’après à cheval sur un projectile
avec sa queue venimeuse et sa tête de pistil

Un temps amputé sans morphine
Un tout percuté en plein centre
A-to-mi-sa-tion sourde,
et cet homonyme pourri:
Mortier, cette boue de liant, d’agrégats et d’eau
Préfixe MORT
Suffixe presque HIER

Et pendant ce temps,
celui qui a tiré,
porté par une fierté d’empire
a retiré l’obus de sa gravité
au nom d’une hérédité mal située
fait un selfie devant les débris
fait risette sur les faîtières en miettes

Qu’est ce que c’est lâche une bombe ça tombe d’on ne sait pas trop où ni d’on ne sait pas trop qui.
à trop d’évidences finit-on par douter?

Elle lâche prise, ne se nettoie pas
Le pommeau de douche s’est fait la malle
– question de joint ou de flexible –
une immense giclée d’eau froide atteint
son torse, son ventre, ses cuisses, un pied
un froid qui ferait même glisser Dieu dans le cafard
le rideau en plastique colle à la peau molle
une réalité physique, matérielle, prend provisoirement le dessus
et le vent aggrave la situation

Les épaisses voûtes de la coupole ont pâti,
malgré la virilité des moustaches des ancêtres,
malgré l’odeur du tabac sous celle de la poudre,
dans la peine et la paralysie,
dans le fond de l’oeil et l’atonie,
on ordonne aux décombres de redevenir maison
le regard litanie,
qu’une prière  refixe les rideaux aux fenêtres
qu’un soupir revisse les poignées aux portes
qu’un clin d’oeil recolle les balcons aux salons

un soleil sort de sa chambre à coucher
sa lenteur princière défait l’épais bandage
annulant la différence entre les cailloux et les pierres précieuses

le plafond est une balançoire
et,
sur le trottoir d’en face,
le tabouret du piano siège dans le magnolia calciné
malgré la fièvre
il fera froid sur le perron

Tandis qu’elle trébuche, des conserves dévalent
elle referme une porte du placard
pour éviter d’autres chutes sur un sol sans fond
les épluchures de grenade semées dans le plancher,
les insectes cherchent une issue

Assourdie,
elle déchiffre la source du sifflement
les intrigues de voisinage n’opèrent plus
gaz et errance à tous les étages

de la porte de Rafah, on entend des vagues s’exténuer
la parabole ressasse l’énième exaction
les hiboux n’ont plus de cyprès
– veiller sur le jour sera ardu –
Les F16, les Apache et les Cobra jacassent dans le ciel déloyal

Elle, elle devient nulle part,
le goût d’ailleurs lui fait horreur
c’est chez elle que l’Histoire a le hoquet
elle s’assied au centre de la pagaille
pose ses mains sur les débris de l’horizon,
le dictionnaire des rêves éclaté sur le matelas

L’orientation de la baie vitrée a toujours été bénéfique
plein sud, avec une dose d’Est pour les matins blancs
Depuis l’enfance, c’est la lumière qui l’a toujours réveillée
et puis cette largeur de vitre!
Protection contre le froid et la déperdition thermique
Protection contre la chaleur et l’optimisation des apports solaires
Transmission lumineuse et isolation du bruit,
De quoi retarder l’intrusion d’une hostilité extérieure
Du regard, elle suit le croisillon de laiton, la traverse
puis le soubassement un peu éraflé, le seuil entre deux mondes,
puis le battement central encore clos charpente son âme
où l’indécence d’une structure au milieu de miettes

Listening to MC Abdul – Shouting at the wall

En une topographie boursouflée,
la ville, le village et le camp s’emmêlent
des fils à linge noués avec des barbelés
Chaque checkpoint est un boyau infesté de pus.
Le PUS est composé de débris cellulaires, des leucocytes, ces cellules blanches du sang qui ont afflué jusqu’au site endommagé,  le pus n’est intéressé  qu’à combattre l’infection et des micro-organismes morts ou vivants. Le pus peut se présenter au cours d’infections superficielles ou profondes.
Le pus est le remède, l’expiation

L’hémorragie générale crée un autre pouls,
le moment palpite
une gorge diffuse une note
un râle, un brame, un feule,
comme un miracle dans une histoire d’enfants sans guerre
un chant prend le train, volute de cendre et trace d’aurore

Mots d’un poème sans vernis

L’après?
Quelques semaines parfois pour atteindre
gangrène, ulcères, troubles,
nécroses & névroses
le mur cicatrice dans une chair rose
cependant
certain·es remarqueront, qu’à toute fissure, 
entre deux pavés ou deux plis de peaux,
un arbre à papillons et un liseron pousseront,
empruntant la bonne vieille route révolutionnaire de la relève

NE DITES PAS que les lieux de vie sont abandonnés
N’annoncez pas la perte pour les persécutés, les opprimés
Chaque graine, comme une tique peut attendre 20 ans,
Depuis des noyaux d’olive et des rameaux de lierre
volant entre les toits de cèdre et le mont du rocher,
les ombres et les spectres perceront des trappes
et chaque clé du retour reconnaîtra sa serrure.

& &
ECRAN PLAT
Hommage à Amiri Baraka

La nuit est ouverte
l’écran plat est allumé
le reflet lumineux projette les images sur la vitre
on peut voir les mêmes images,
toutefois inversées selon de quel dehors on se trouve

Lui, il a sombré dans une sorte de calme
apnée d’un sommeil non réparateur
– on ne répare pas ceux qui ne sont pas cassés –
les voix en continu traversent ses tympans
pas de générique de début pas de générique de fin
il n’écoute pas vraiment mais ça le prend,
il entend tout en live, en continu, en replay, en fil tendu
papyrus numérique, programme quantique

Ils disent ils disent Ils disent Ils disent ils disent
ils disent terroriste, que c’est un terroriste c’est un terroriste
ils disent de ces Arabes
ARABE: anagramme de barbare, mot compte triple
même Afghan, même Persan, même si pas musulman, même de Perpignan,
A.R.A.B.E: Amalgame for ever, amalgame over

Où est la terreur sur la carte
Ils disent barbarabes,
pas beaufs, pas blancs, pas d’ici, ce sont les autres, oui, les autres,
pas ceux de l’altérité mais d’autres encore
non, c’est pas eux, ceux qui disent
c’est pas leur armada, c’est pas la même flottille

Séquence wikipédia (voix d’hôtesse de luxe):
En 1492, l’expédition de Colomb s’est embarquée, pour la première traversée de l’océan Atlantique, sur trois bateaux. La caravelle Santa María, la Pinta était plus rapide, et le troisième bateau, la Niña, était plus petit.
En 2022, l’aventure sophistiquée La Pinta est le pied-à-terre de luxe parfait pour profiter de vos vacances aux Galapagos. De conception moderne, avec des cabines et des espaces communs lumineux, La Pinta est dotée de caractéristiques qui ne sont tout simplement pas disponibles sur d’autres bateaux de la région. Un service wifi gratuit est disponible à bord ainsi que des téléphones pour des appels internationaux. La climatisation est bien sûr installée partout. Étant l’un des plus gros navires de la région, La Pinta n’a jamais été piloté que par des officiers navals de haut rang possédant de nombreuses années d’expérience dans les eaux locales. L’officier médical du navire est disponible 24h/24h et 7j/7j pour des consultations gratuites, et tout l’équipage de La Pinta porte toute son attention sur votre sécurité et votre bien-être.

Terr-oris-tes, les autres, oui, les autres
c’est pas le KKKlan, les Skinheads, le RAID
c’est pas le bastion RN, les CRS ou le GIGN
pas ceux qui font sauter les églises baptistes noires, les mosquées,
pas ceux qui réincarnent les esclavagisés en couloirs de la mort
Pas les Hollandais, pas les Espagnols, pas les Portugais, pas les Français, pas les Britanniques … NON.

Il somnole, les détails de l’affaire coagulent dans sa tête
les chaînes CBS BFM RTL envoient du lourd
24 sur 24 – 7 sur 7 – 5 sur 5 – tous contre 1
Ils disent terroriste
ils disent ils disent sans enquête sans éthique sans gêne
ils disent le lexique nécrogène
imbibé de vocabulaire réduit à 10 syllabes

Dans la vitre, le reflet demande des comptes

oui, ils disent ils disent ils disent
mais
Qui fabrique la parole ?
Qui les paient pour dire si-peu-déjà-trop
Qui respire derrière leur masque ?
Qui marionnettise? Qui articule?
Qui sont les plus malins ?
Qui définit le marché de l’art et de l’humain?
Qui produit des sciences d’offense ?
Qui fabrique les bombes, du phosphore blanc à l’agent orange?
Qui possède les immeubles ? Les terres? Les murs?
Qui kiffe trop de mettre ces autres sous les verrous ? dans les égouts?
Qui possède les journaux ? Les télévisions? les médias?
Qui possède la mine ? l’océan? les avions? les mails?
Qui se fait des couilles en or ? Qui éjacule à chaque crescendo de la Bourse?

Dépêche de Boursorama:
A la clôture de la séance de la Bourse de Paris du mercredi 15 mai 2024
l’indice CAC40 soit des 40 plus grandes capitalisations boursières des entreprises françaises a enregistré une des plus fortes hausses depuis le début de l’année. Félicitations!
Fermez la parenthèse ?

Et le reflet de retrouver son souffle dans la buée
Depuis la vitre, il énonce

Qui avait le feu, qui l’a allumé ?
Qui a tué, exploité, collaboré?
Qui dit qu’ils sont Dieu? Qui a tranché des mains au Royaume Kongo ?
Qui a appelé les autres par leurs noms à eux ?
Qui trouve que les autres sont soit méchants soit marrants ?
Qui joue la carte de la silenciation après avoir mis le boxon?
Qui retourne le cerveau ? Qui malaxe la pâte des peurs et des mensonges?
Qui a eu le pain ? Qui a besoin de paix ? 
Qui suit un stage de développement personnel à 2000 Francs Suisses?
Qui imprime le Franc CFA à Chamalières depuis sa création en 1945?

Chamalières est une commune française située dans le département du Puy-de-Dôme, en région Auvergne-Rhône-Alpes. L’impression du papier monnaie est centralisée au centre même de la puissance coloniale afin de “diminuer les coûts de fabrication et d’acheminement” et de perpétuer ainsi l’arrangement monétaire d’une dette extérieure des pays fournisseurs de matières premières supérieure à leur PIB.

Qui a besoin de combustible quand le soleil ne va nulle part ?
Qui fabrique les cartes de crédit ? Qui obtient la plus grosse réduction d’impôts ? Qui échappe à la justice fiscale, pénale plus vite qu’un coyote en rut? Qui s’est fait de l’argent sur l’apartheid depuis Capetown jusqu’à Jérusalem ? Qui s’est enrichi sur l’Algérie, la Libye, Haïti, L’Iran, l’Irak, le Koweït, le Liban, la Syrie, l’Egypte, la Jordanie, la Palestine ?

Les listes longues, c’est pas de la poésie
c’est juste une série de questions
dont, en plus, on a une série de réponses
Plutôt bof le texte… Non?

Attends, non mais vraiment
Qui invente la discrimination positive?
La croissance négative?
La Reconstruction, le New Deal,
La Nouvelle Frontière, la Grande Société …

Qui?

Zoom avant, fini le hors champ, retour au cadre
l’écran plat, toujours allumé, réchauffe l’actualité réchauffée
le reflet cherche une forme mais,
la nuit est finie.
La lumière du jour estompe le reflet
au moins jusqu’au prochain programme de nuit.

© Milady Renoir – mai 2024



Amiri Baraka, poète, essayiste, dramaturge, éditeur, professeur d’université fondateur du Black Arts Movement auprès de Sonia Sanchez, Alice Walker, Toni Morrison, Nikki Giovanni, June Jordan, John Coltrane, Charles Mingus, Thelonious Monk, …

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