correspondre sans correspondre

Une des choses que je regrette ne plus voir dans la ville, c’est la boîte aux lettres. Il en reste une dans mon quartier, je la chéris, je lui offre quelques autocollants parfois, et la nourris avec des cartes postales, des lettres, des petits colis. J’ai toujours entretenu des relations épistolaires, du papier, du caramail, du gmail, jusqu’au whatsapp que je considère comme une conversation permanente. Ado, j’ai aimé lire les correspondances, même les restées sans réponse, de soldats antipatriotiques, de mères esseulées, d’amoureux transis, de voyageurs en errance psychique, d’artistes sans galerie, de nomades sans but. J’ai aussi nourri plusieurs correspondances avec des inconnu·es, dont une avec Fred Efpé MényÉcrivain Parisien, Clochard de France, pendant des années jusqu’à sa mort dans une grange corrézienne à 10 kms de chez ma génitrice. Son livre La conquête du désastre » publié aux éditions Sulliver, à lire.
Avec des hommes plus âgés quand j’étais novice en antipatriarcat, et que de confort en leur « sagesse » érotisante jusqu’à mes réparations post-traumatiques sexuelles, j’ai grandi dans ma langue poétique par un Eros travaillant la transaction épistolaire comme un exercice de séduction revanchard
J’aime encore écrire à mes ami·es, leur envoyer une image, un voeu, une petite formule psycho-magique.
L’art postal DIY sur l’enveloppe, le choix des timbres (j’en ai même fait faire sur commande), l’acte de la remplir, l’acte de la poster, et l’attente (voire la perte) de sa réception. Un acte matériel au milieu des fracas de nos conversations dupes ou incomplètes.
J’ai encore des conversations dans ma boîte mail de relations érotiques (au sens de potentialité de jouissance, de relations de créations, sans sexualiser l’affaire) avec des personnes qui ont permis des paroxysmes poétiques chez moi qui font archives intestines pour mon écriture.
Il y a eu Yun avec ses dessins sur carte à gratter et mes poèmes minutes,
il y a eu Latérite & Trottoir avec Perrine Le Querrec
il y a eu M&F avec UnVraiSemblant
il y a eu les carnets photos et textes avec Ernesto Timor
… et d’autres.


J’ai rencontré Karen Guillorel lors du festival Passa Porta en 2011 ou 2012 pour lequel je faisais de la programmation. Elle avait produit un livre voyageur, traversé des chemins sacrés, depuis Paris, jusqu’à Jérusalem, créé un guide pour les femmes qui voyagent seule. Nos analogies spirituelles et nos différences expérientielles ont formé une amitié. Rapidement, sa nécessité de partir loin confrontée à mon besoin de creuser un chez-moi a permis de nous écrire avec le protocole suivant: elle écrirait depuis son blackberry (nombre de mots limité) l’état de son voyage (vers la Sibérie, entre trains et marches) et publierait une lettre quand la connexion le permettrait. Et moi, à Bruxelles, je travaillerais mes réponses et mes élans en fonction du voyage que je ne veux plus faire.

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Cette correspondance a existé sur un blog (depuis disparu mais Karen l’a reformulé ici), puis est devenue deux booklegs publiés chez maelstrÖm reEvolution.
Je n’ai pas cherché à publier des livres, ces objets que j’aime posséder et arpenter mais dont je ne me soucie guère en tant que poétesse.
Pourtant, la matérialisation et l’externalisation de notre correspondance « intime » font encore aujourd’hui plaisir à relire.

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