Le gardien du cimetière | Louise Michel en Kanaky

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En 1873, Louise Michel, avec d’autres communards, est déportée en Nouvelle-Calédonie. Elle y restera sept années durant lesquelles non seulement elle apprendra la langue des colonisés, mais aura à cœur d’opérer un travail de sauvegarde d’une culture kanak menacée par la domination française. C’est ainsi qu’en 1885 paraît Légendes et chants de gestes canaques.

Il est là jour et nuit le vieux Nechewa ; chaque soleil levant le trouve endormi, fatigué qu’il est par son œuvre de la nuit.
Chaque lever de lune le trouve à travers la vallée, cueillant la fleur qui aide à vivre et qui aide à mourir, la fleur du niaouli, et la boria (citronelle) qui réchauffe comme le soleil.
Sur la fleur du niaouli, la nuit, par l’ombre, on voit une lueur comme autour des vers luisants.
Il est savant, le vieux noubou, c’est le plus savant des takatas, il sait conserver tant qu’il veut, l’étincelle de vie du vieillard ; et il souffle sur celle d’un guerrier quand il lui plaît.
De loin on vient le voir, le gardien du cimetière.
Il vit là, avec ceux qui dorment sous la terre et dans les branches des arbres, il écoute dans sa pensée, Nechewa le gardien des morts.
Les os sous le vent se choquent dans les branches des arbres. Entends-tu, Nechewa, comme passent les abeilles dans le tronc creux des arbres, les essaims des vers passer avec un petit bruit dans les chairs.
Mais lui, son rêve va si loin, que la langue ne peut plus le dire, il faudrait tous les mots des langues des blancs, et plus.
Car il sait les histoires du temps avant qu’on ait vu les blancs, avant le temps même où on a mis les morts dans les branches.
Avant bien avant, tout cela.

(« Le gardien du cimetière », in Légendes et chants de gestes canaques, Kéva & Cie, 1885.)

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