« Nous n’avons plus le temps de jouer cette sinistre comédie, à moi le rôle de la fautive, à toi celui de l’homme blessé.
– Je ne joue pas. Je sors d’une tuerie qui ne me quittera plus. Il fait nuit en moi et toi tu me parles de virile comédie et d’orgueil inavoué.
– Je n’ai pas dit virile, j’ai dit sinistre.
– Sinistre, virile, c’est pareil, les mots ne changent rien à l’histoire. Les grecs sont les vainqueurs, les Troyens sont à la nuit.
– Et c’est en t’abaissant de la sorte que tu célèbres ta victoire ? Toi, respecte la majesté de ton rang. Tu t’insultes toi-même en me forçant à venir ici. »
« Sans nommer la cage, comment dire l’envol ? Je ne m’adapterai plus, à rien ni à personne. Et ne me contenterai plus de ce que les hommes daignent me donner. Je veux tout. Je ne suis pas un animal de compagnie, une présence qui rassure son maître. Je suis une louve, indomptable et indomptée. Je ne me coucherai plus sur le dos, selon la taille de l’os qu’un homme daigne m’enfoncer dans la gorge. Dévorante, dévorée, je suis ma propre chasse, proie et prédatrice confondue, en une seule et même course ; ma vie. Ma vie est ma vie. Je ne veux plus d’un chroniqueur qui écrirait l’histoire de mon histoire. Je suis ma propre tribu et langue, l’architecte, la messagère de mon récit. Plus rien ne m’arrivera, c’est moi qui me ferai. Je suis l’alpha et l’oméga, je veux mon écriture céleste et temporelle. Je veux recréer Hélène, non pas dans le regard des hommes, mais dans ce corps se chevauchant lui-même. Je veux être Hélène qui danse dans Hélène. »
» La cause de cette guerre, c’était le faste des Troyens. Et quand je dis faste, je ne parle pas d’or ou d’argent mais d’un savoir millénaire que jamais vous ne saisirez. Jamais vous ne prendrez la place de ce peuple premier. Vous ne ferez que le singer. Jamais vous ne trouverez le fleuve qui remonte le cours du temps. Jamais vous ne nagerez jusqu’à atteindre son Renaitre. Car il renaîtra, oui, et s’immiscera jusque dans vos rêves les plus enfouis. Là, il vous fera danser dans l’incendie de vos maisons. «
Hélène après la chute, pièce à deux personnages et un pianiste, relatant les retrouvailles d’Hélène et de Ménélas, après la chute de Troie. « Cette tragédie se situe au moment fatidique où le temps s’arrête et où les personnages qui sont censés être l’un à l’autre, ne savent plus se reconnaître. Ils ne savent plus croire, ni au retour, ni à la résurrection de l’autre. Malgré leurs yeux et leurs oreilles, ils nient l’évidence même de la présence, et exigent autre chose qu’un corps. Ce qu’ils veulent, c’est un souvenir venu du fond de leurs mémoires, un récit qui saurait déjouer les doutes les plus coriaces, un secret qui les lierait dans la nuit de leurs étreintes perdues. Ce sont ces retrouvailles tant redoutées, ce moment fatidique où deux âmes tremblantes sont livrées l’une à l’autre. Une pâture où il n’y a ni à gagner ni à perdre. Dans cette nuit qui n’en finit pas de les engloutir, elle et il se jaugent comme la louve son loup. Ils ne se croient plus, ne se reconnaissent plus. Pourtant dans un jadis, ils furent l’une et l’autre à la même forêt, à la même lune, à la même nuit.” — S. Abkarian
Hélène après la chute, de Simon Abkarian, avec Aurore Frémont, Brontis Jodorowsky, Macha Gharibian. Au Théâtre de l’épée de bois, Cartoucherie de Vincennes, du 9 octobre au 3 novembre 2024
