Attention, récit assez rude à propos du quintuple meurtre survenu il y a un an à Loon-Plage, au cours duquel deux exilés kurdes iraniens, Hamid G. et Hadi R., ont été tués.
La mythification de loup blanc solitaire, de fou errant sans but, du coup de sang est la base commune de tant de « faits divers » alors qu’accumulés, ils forment, sans grand calcul savant, une grande manne structurelle de la fRance ou la belgikkke.
https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/12/10/la-pensee-vide-et-l-apathie-du-jeune-paul-d-auteur-d-un-quintuple-homicide-dans-le-nord_6656757_3224.html
L’itinéraire de Paul D., un jeune homme à la « pensée vide » qui a froidement exécuté cinq personnes dans le Nord de
Julia Pascual, publié le 10 décembre 2025
En décembre 2024, l’homme de 22 ans avait tué son ex-patron, deux anciens collègues et deux migrants. Ses auditions par les enquêteurs, un psychiatre et un psychologue, dessinent une vie présentant plusieurs caractéristiques récurrentes chez les tueurs de masse : relations sociales quasi inexistantes, expériences d’injustice et d’intimidation, accès facile à des armes à feu.
C’était il y a un an. Ce samedi 14 décembre 2024, dans le pavillon familial de Ghyvelde (Nord), la journée avait commencé comme à l’accoutumée. Paul D. avait déjeuné avec ses parents et son frère, de trois ans son cadet. L’après-midi, les premiers sont allés faire des courses. Ils devaient remplacer la gazinière. A leur retour, leur fils aîné n’était plus là. Ils ne s’en sont pas étonnés. Le samedi après-midi, Paul D. va au stand de tir de Leffrinckoucke, en bordure de la mer du Nord, à moins de dix kilomètres. Cette fois, pourtant, au volant de sa Kangoo, dans laquelle il a déposé cinq armes, il a changé d’itinéraire. En l’espace d’à peine une heure, ce jeune homme de 22 ans, qui ne s’était jamais battu et n’avait jamais fait parler de lui, allait exécuter cinq personnes. Le Monde, qui a pu prendre connaissance de l’enquête pénale, revient sur cette tuerie de masse.
Cela faisait deux semaines que Paul D. réfléchissait à son passage à l’acte. Suivant le plan qu’il avait échafaudé, il s’est rendu chez son ancien patron, où il avait effectué un CDD l’été précédent, comme chauffeur routier. Il s’est garé devant le domicile, a klaxonné jusqu’à ce que le dirigeant de 29 ans sorte, extirpé de sa sieste. Les deux hommes n’ont pas parlé. Paul D. a sorti un fusil de calibre 12 de sa voiture et a tiré. Son ancien patron a couru vers sa maison, où se trouvaient sa compagne et deux enfants en bas âge, avant de s’effondrer dans la cour, sous le coup du deuxième tir. Paul D. s’est alors saisi d’une autre carabine de gros calibre. Il a encore tiré, plusieurs fois, s’est rapproché de sa cible. « C’est toi que je veux, pas ta famille », a-t-il lâché, avant d’achever sa victime d’une balle dans la tête.
Quelques kilomètres plus loin, dans la zone portuaire de Loon-Plage, où Paul D. avait effectué en 2023 une formation dans une entreprise de sécurité, il a abattu deux agents de la société qui patrouillaient. Il les connaissait vaguement. En repartant, il s’en est pris à des migrants qu’il avait aperçus en arrivant dans la zone, à proximité des campements où des centaines d’hommes et de femmes rêvent d’Angleterre. Paul D. a criblé de balles deux Iraniens qui marchaient sur la route puis il est remonté dans sa voiture et s’est rendu à la gendarmerie de sa commune. « J’en ai tué combien ? », a-t-il demandé, avec un sourire, pendant sa garde à vue, à l’issue de laquelle il a été mis en examen pour « assassinats » et « meurtres ».
« Froideur affective »
Une année s’est écoulée et Paul D. déroute encore par son apathie. Au magistrat instructeur qui l’a interrogé, le 25 novembre, il répète qu’il « ne pens[ait] à rien » lorsqu’il a agi, « comme un robot ». La psychologue mandatée pour une expertise trois mois après les faits a décrit chez ce garçon chétif une « froideur affective », une « pensée vide ». Paul D. avait à l’époque confessé ne pas pouvoir exprimer de regrets à l’endroit des familles de ses victimes, « car ce n’est pas sincère ». « Il est possible que le bien et le mal soient confondus », a avancé la psychologue.
« Je m’en veux », « je n’aurais pas dû faire ça », concède aujourd’hui Paul D. au magistrat instructeur qui tente de percer sa carapace d’indifférence. Il n’obtiendra rien de plus. Le mis en cause « n’explique pas » ses actes. « Je ne sais pas », évacue-t-il à plusieurs reprises. « Le problème, c’est que je ne me rends pas compte des conséquences, avoue-t-il aussi. J’essaye de minimiser pour moins y penser. »
La psychiatre qui a examiné le détenu en mai avait estimé que, s’il « ne présente pas d’affection mentale caractérisée », il manifeste une « réelle dangerosité criminologique ». Sans vraiment expliquer où celle-ci prend sa source, si ce n’est dans une série de situations de rejet et d’impuissance qui ont jalonné son existence, constituant autant de « bombes à retardement ».
Des années de brimades verbales
Paul D. est né d’un père chef de poste chez ArcelorMittal et d’une mère vendeuse en boucherie devenue, après un licenciement, femme au foyer. Elle s’est formée un temps au métier d’aide à domicile, mais son époux a voulu qu’elle arrête, « à cause des horaires ».
Mariés jeunes, les parents ont eu leurs deux fils dans la foulée. Ils les ont élevés dans un pavillon près de Dunkerque. A la maison, on ne se parle pas beaucoup. Le son de la télé meuble les repas. Le jeune Paul reçoit une éducation « classique », selon son père. L’intéressé confirme une enfance « normale », mais évoque un cadre strict, voire l’autorité excessive du paternel.
Sa vie présente plusieurs des caractéristiques récurrentes chez les tueurs de masse, notamment une vie sociale quasi inexistante, des expériences d’injustice et d’intimidation, un accès facile à des armes à feu. S’il est un enfant « calme » et « serviable », très tôt, il est aussi décrit comme « solitaire », « effacé », « distant », selon son entourage. Lors de sa garde à vue, le jeune homme raconte avoir été victime de harcèlement au collège. Il avait alors « toute la classe contre [lui] ». « Je n’étais pas comme eux, qui venaient des quartiers populaires », tente-t-il de contextualiser. Quand il sort de ces années de brimades verbales, il n’est déjà « plus le même ».
Au lycée, où il prépare un bac professionnel puis un BTS transports et logistique, sans enthousiasme, mais comme son père avant lui et son frère après lui, Paul D. reste à l’écart. Cette période est « pire » que les autres. « C’était la première fois que je rencontrais des Arabes de ma vie », confie-t-il lors de sa garde à vue. Des « Arabes » qu’il range dans la catégorie des « cambrioleurs, vendeurs, dealeurs » et qui, selon ses dires, l’auraient renvoyé tout aussi catégoriquement à celle de « sale Blanc ».
Paul D. n’a pas d’amis, ni de petite amie. Il ne sort pas, sauf pour aller voir sa grand-mère paternelle, s’occuper de son poulailler, et tirer. Les armes, il les a toujours côtoyées. Son père a été chasseur et en détient plusieurs chez lui. A 8 ans, Paul D. tire pour la première fois avec une arme à feu. De ses 12 à 20 ans, il accompagne son père au club de ball-trap de Loon-Plage. Puis il se met au tir sportif, tout seul. A son père, il continue de rapporter ses cibles, trois fois par semaine. C’est le domaine dans lequel il réussit quand, professionnellement, il est en échec.
Paranoïa, vengeance
Après son BTS, le jeune homme est sans emploi. Il va suivre une formation d’agent de sécurité en entreprise dans la zone portuaire de Loon-Plage. Il y est chargé de « débusquer » des migrants qui se cacheraient dans des conteneurs ou des remorques pour passer en Angleterre. Il décrit des conditions de travail difficiles : « La direction nous traitait comme des chiens. »
Paul D. ne poursuit pas dans cette voie et devient chauffeur poids lourd. C’est comme ça qu’il rejoint l’entreprise D. pour un CDD de trois mois, en juillet 2024. Il croit avoir trouvé « enfin le bon métier », mais un jour de pluie, sur l’autoroute, le jeune chauffeur routier emboutit une remorque et abîme lourdement son camion. Son patron ne le prolonge pas. Il lui aurait assuré qu’il allait le « griller » dans la profession. Un salarié de la boîte se souvient du garçon redoutant la réaction de ses parents. « Ils vont me tuer, de toute façon, ils ne peuvent pas me saquer », lui aurait-il avoué.
Après cette déconvenue, Paul D. ne retrouve pas de travail. Ses projets sont contrariés. Il explique dans ses auditions avoir voulu s’expatrier pour « être loin de [sa] famille ». Il pense beaucoup à la Russie, car « c’est un pays qui se développe beaucoup ». Il l’a compris auprès d’influenceurs prorusses qui vantent les mérites du visa idéologique mis en place par Vladimir Poutine en 2024 pour les ressortissants de pays aux « orientations idéologiques néolibérales destructrices ».
Car Paul D. passe beaucoup de temps sur le Net. Il consulte des chaînes YouTube ou Telegram sur la géopolitique, la seconde guerre mondiale, la manipulation d’armes, ou, dit-il avec un détachement désarmant, qui diffusent des vidéos de « Brésiliens qui tuent des otages ou des Africains qui brûlent un pédé ». Il joue aussi aux jeux vidéo, avec une préférence pour ceux de tir à la première personne. Il y consacre « facilement six heures par jour ». Mis bout à bout, il a dû exécuter virtuellement « des milliers » d’adversaires.
Convaincu que son ancien patron lui savonne la planche auprès d’autres transporteurs, Paul D. rumine sa paranoïa et fomente sa « vengeance ». Il va s’équiper de cartouches en grande quantité et, le 14 décembre 2024, prend sa « revanche ».
Retrouver « une France comme avant »
L’expert psychologue formule l’hypothèse que, dans la foulée de son premier assassinat, mû par une excitation sadique et un sentiment de toute-puissance retrouvée, Paul D. a prolongé son périple sanglant. Lui ne fournit aucune explication. « Je roulais un peu au hasard au début », se souvient-il. Tant qu’à finir en prison, il aurait pensé : « Autant [se] venger », de l’entreprise de sécurité dans laquelle il avait trimé en 2023. Le patron n’étant pas présent, ce sont Aurélien C. et Marc L., âgés de 33 et 37 ans, « qui ont pris ». Quant aux migrants iraniens que Paul D. a achevés après leur avoir intimé, en anglais, de s’allonger dans l’herbe, « c’était plutôt à l’instinct », avance-t-il. « C’était facile », justifie-t-il encore. Hamid G. et Hadi R., âgés de 28 et 20 ans, se rendaient à une distribution de vêtements et de sacs de couchage quand ils ont été abattus. Ils voulaient se réchauffer.
Quand les enquêteurs l’ont interrogé sur son idéologie politique, Paul D. a opposé, encore, le vide de sa pensée. Il assure ne pas nourrir de haine xénophobe. Mais il dit aussi se « retrouver dans le nationalisme » et se situe, à l’image de sa famille, à l’« extrême droite », parce qu’il a « toujours détesté la gauche » et que « le centre, c’est Macron ». Le magistrat lui a fait remarquer qu’en 2023 il avait exprimé son souhait de retrouver « une France comme avant », sur une boucle Telegram du groupe identitaire FRDeter, fermée peu de temps après pour avoir abrité des propos racistes et incité ses membres à des actions violentes. Dans le téléphone de Paul D., les enquêteurs ont aussi retrouvé des captures d’écran de sites d’information évoquant l’interpellation de jeunes d’extrême droite qui projetaient une action violente. C’était trois jours avant de passer à l’acte.
A la prison de Lille-Sequedin, Paul D. a entrepris un suivi psychologique et psychiatrique, poussé en ce sens par son avocate, Margaux Mathieu. Cette dernière a aussi sollicité auprès du magistrat instructeur une contre-expertise psychiatrique pour déterminer le degré de discernement de son client, « compte tenu de l’absence manifeste de toute prise de conscience ». En attendant, elle estime « fondamental » que ce dernier chemine, pour comprendre ses agissements. Dans sa cellule, Paul D. écrit le soir le scénario d’une BD. Une histoire de résistants, qui se déroule pendant la seconde guerre mondiale. Il y a parmi les personnages mis en scène un certain « Paul l’égorgeur ». Mais, il l’assure, il ne faut y voir aucune analogie avec sa propre vie.
