
Contre toute attente, elle avait décliné son offre. Elle s’était pourtant plaint, à maintes reprises, de cette lourde solitude, de son célibat si peu assumé, de ces perpétuelles histoires sans demain, de cette éternelle horloge biologique qui avait depuis quelques années déjà planté sa grande aiguille dans ses entrailles… elle avait appelé à l’aide, compulsé plusieurs annonces, tenté diverses techniques primales, enfin, approchant presque l’anéantissement, elle l’avait trouvé. Lui, debout, habillé, quelque peu convoité (mais pas trop), un peu beau et un peu riche (mais pas trop), arborant conversations ouvertes et âge encore peu fermé.
Les hommages furent établis, les restaurants offerts, les hôtels visités, les langues furent mélangées, les corps emmêlés, toute pratique sociale et culturelle appliquée en commun les comblait tous les deux.
Elle se mit à percevoir le Grand Sentiment. Il se mit à confectionner un futur et promettre.
Au-delà de tout schéma connu, de tout dogme élémentaire de pacte, elle l’aimait car il lui laissait la liberté de choix, sans entamer cette vague du hasard, cette onde du doute, ni envenimer cette superbe notion de séduction.
L’union était bercée d’aléas ludiques… Elle avançait à pas lents, il la suivait nonchalamment. Aucune ombre au tableau sauf… un soir.
Un soir comme tant d’autres, nappe amidonnée, bougies coulantes, vin blanc en glace, ambiance (cal)feutrée, murs couverts de toiles néo-artistiques… à un moment calculé, il sortit l’anneau, ce petit cercle précieux surmonté d’un vulgaire caillou blanc… ce ridicule et minuscule objet de désir, lequel cumule à lui tout seul, plus de symboles et de violence conjugale, plus de promesses en l’air et d’anniversaires zappés qu’une première communion catholique. Cet échafaud portable plaqué or, cette monnaie d’échange de singes, ce crétin bijou avec un trou, cette vulgaire invitation à des années d’esclavage moderne, cette préface de leur mort sexuelle annoncée…
Outrée par tant d’incompréhension et de conformisme primaire, elle saisit la bague avec une rage qu’elle n’avait connue qu’avec un amant inconnu qui sentait l’urine, avala l’objet fallacieux comme un caméléon gobe une mouche à merde. Elle ajouta à sa prise glorieuse une bonne rasade de Beaujolais Saint Amour cuvée 1991 à 85€ le litre pour faire passer l’hameçon dans le goulot. Engorgée de colères froides, elle barbouilla le visage du félon avec tout son gazpacho concombre basilique et vociféra entre ses dents que s’il voulait récupérer l’insulte, il devrait attendre qu’elle ressorte de l’autre côté, et que s’il tenait tant que ça à une vie réglée et calculée d’avance, elle lui trouverait, dès le lendemain, une poupée gonflable High Tech avec réveil matin, four micro ondes et agenda électronique intégrés.
© Milady Renoir
Art by Ryan Widger