Contrainte de l’Atelier Milady autour de l’incipit de Philippe Sollers « Le Cœur Absolu »
« Toujours vivant ?… Oui… C’est drôle… Je ne devrais pas être là… Flot de musique emplissant les pièces… Elle se souvient de moi, la musique, c’est elle qui m’écoute en me traversant… Qu’est-ce que c’est ?… Voyons… Oui… Bien sûr… Saint Jean… Le début… Nuages… Formation des nuages… Rideau soufre… Horizon glissant… C’est lent, et long, et large, et groupé, noir, liquide… Je suis dedans, maintenant, pas de doute… J’ai dû mettre la radio, tout à l’heure, sans m’en rendre compte… En me levant pour faire chauffer le café, odeur de pain grillé, coup sourd du courrier et des journaux derrière la porte… Il faudrait aller les chercher… Mais pas moyen. Je suis paralysé, là, dans mon lit, petit jour fermé dans la chambre. Neuf heures moins vingt. Je repars dans le sommeil. Les voix me portent. Elles descendent avec moi dans l’eau… […] »
Il y aurait le chant d’une sirène dans ce songe humide… une proue voyeuse, tirant sur mes fils, telle une Parque hystérique… ce son ne parvient pas à ranimer mon sens primaire… c’est ici le fond ? Non, les autres le disent tous… tunnel, lumière etc. C’est bien connu… encore cette glissade… mes membres tressaillent de peur… il faut basculer pour chuter… le point d’ancrage s’évapore… les draps transpirent… suées ouatées…matière vindicative derrière son apparent miel. Je suis bourré de vie… immobile, à peine contemplatif. Radicalement, je suis impuissant, mal nourri, décadent.
Je tombe sans me faire mal… je suis né il y a longtemps, je les vois… père et mère dans le cadre corbeau, enfants enfermés dans la Grande Roue… la lutte n’est pas le combat que j’opère… soyez teigneuses chères artères, le sang doit suivre la marée… flux et reflux dans la veine centrale… une voiture s’arrête sur le bas-côté… je laisse les âmes doubler… je ne suis pas pressé, allez-y, passez… trépassez… j’ai le Temps posé sur mon terrain de jeu.
Néons clignoteurs… brancardiers harpies… gargouilles en blouses blanches… Je est con de se croire unique… regarde les, cher regard, ils s’embourbent dans les rayures du sol… chaque pas forme une crevasse… nous remontons tous le même ciel dans une faille inversée… la terre est creuse, elle en pleure des océans d’iode saline… mon cœur, ce leurre, tu sais que tu n’existes pas sans le sang… alors laisse le couler…
(…) temps (…) pause (…) absence (…) relent (…)
Oui ! Je remonte, je redémarre, oui, rien à faire ici (à part s’ennuyer) … je vais vous suivre, je vous écoute, moutons noirs de pacotille… guerriers de jachères putrides… croque-morts hilares aux dents de verrat, je vous connais, je vous suis… suivre ce que l’on connaît est déjà mourir. J’arrive…
Cette odeur de pain grillé, j’entends la mie crépiter… Peut-être est-ce un matin ? Sans soleil arbitre, ni lune opiniâtre… rien n’est rassurant dans cette habitude, une chute perpétuelle… l’alarme décline … mes oreilles s’alourdissent… qui peut vivre avec quelqu’un d’autre sans se voir mourir dans ses yeux ?
Il doit y avoir du lait qui bouille… l’écume sibylline nourrira mon égarement. Je mettrai quatre sucres cassés dans le grand bol miroitant, poserai mes lèvres sèches au bord de la brûlure. Ce sera la preuve, l’attestation de ma place au sein de ce jour, un être vivant parmi les autres.
© Milady Renoir (assistée de Philippe Sollers (ça tue de pouvoir dire ça !)
Art by Antonio Lepore