Jean Piètre, homme ordinaire.

ATYPYK lost timeJean Piètre abhorre le futur, cette petite chose fragile qui transforme les vivants en morts, et les morts en carences. Pour reléguer cette ridicule facilité castratrice au rang de l’anémie, il ne marche qu’en arrière ou en se déplaçant sur le côté, tel un crabe têtu défiant les ondes des cycles. Il remonte chaque pendule à l’envers, parfois jusqu’à en casser leur mécanisme, ce qui lui procure une érection, laquelle il ne satisfait jamais, par principe de préservation. Les horodateurs sur son chemin sont des obstacles, il les réduit en petits débris qu’il piétine ensuite sans se soucier du regard des passants honnêtes. Il ne lit pas les journaux, ni les livres car ceux-ci ne peuvent s’empêcher de poinçonner l’Histoire avec leur chronologie oppressante et leurs références tièdes aux annales d’une planète qui ne cesse de tourner.  

 

Jean Piètre ne se lie pas aux autres. Ni femme, ni enfant. Aucune amitié potentiellement durable, donc lassante. Tout doit résister au courant des sens. Jean s’acharne parfois à annihiler les émotions dévorantes mais il résiste avec le soutien de ses cauchemars dévolus et ses illusions perdues.
Il vote pour le Parti Conservateur, mange les aliments en boîte dont les dates d’expiration ne sont plus lisibles, porte les mêmes habits depuis qu’il a décidé de ne plus se laisser grignoter par les dates, nie son anniversaire, tire des coups de plomb dans le cul de ce facteur pataud qui amène les calendriers en fin d’année, ne supporte que Patrick Poivre d’Arvor à la télé parce qu’il est éternel et le Saint-Esprit pour sa rigoureuse immuabilité.

 

Le soir, pour ne pas penser à cet astre couchant et rébarbatif, il médite sur sa paresse, son oisiveté, et contemple sa torpeur avec un béguin irrésolu.

Chaque matin, le rituel de son bain se répète sans une onde de modification. Il dérive son regard de la vitre, laquelle joue au petit miroir, petit transporteur d’âge sans autre discipline que de plagier l’ego. L’ego, ce supplice paternaliste qui l’enferme dans cette philosophie mortelle. Il n’y pense plus.

Il aurait voulu ne jamais avoir entendu le son de sa voix, ni s’être aperçu des ridules de ses dermes jaunes. Heureusement, son acuité visuelle est devenue quasi nulle, c’est de son propre gré qu’il ne consulte pas ni oculiste, ni docteur, ni tout autre charlatan de la vie à tout prix. Quand il sera aveugle, rien ne pourra alors empiéter sur sa vision absolue d’un horizon parfaitement plan.

 

Sa poésie, il la trouve en observant les platanes, ces seigneurs immobiles disposés en rang d’oignons entre la mairie et l’église. Il aime les piafs et les pigeons, puisqu’ils se ressemblent tous entre eux, et qu’on ne voit jamais la différence entre les jeunes et les vieux, qu’ils sont là tous les jours, ces inlassables créatures dociles et vulgaires.

 

Jean Piètre est un homme ordinaire, qui survit d’exigences répétées et de journées plagiées. Jean Piètre ne s’aperçoit pas que son cœur s’est converti en sac à prostate bien trop rempli. Il est un pendu qui s’ignore. Son existence est une potence qu’il polit chaque jour avec la ferveur d’un croque-mort. Mais toutes ces préoccupations n’empiètent pas sur son humeur puisque la couleur de l’inertie recouvre les murs de son caveau portatif.

 

© Milady Renoir

« réponse » à la contrainte de l’atelier Milady du 21 septembre.

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