« Quand il allait dans une galerie, il regardait d’abord globalement, rapidement. Puis, presque systématiquement, il prenait des notes. Il repassait devant chaque photo, il mettait en mot ses éléments visibles, plus rarement son impression, il la décrivait. Prendre des notes de laisser sa mémoire vacante jusqu’à l’écriture de l’article. De toutes ces images que souvent il n’aimait pas, il avait peur de se souvenir. […]
Il possédait un petit appareil photo (un Rollei 35) qui aurait fait rire toute la profession qui le posait comme critique : il trouvait la technique gonflée par les marchands ; il pensait qu’un sujet, un visage ou un objet fort se suffisaient ; il n’attachait qu’une valeur de fétiche aux gros appareils, comme le Mont-Blanc des écrivains. Il ne lui arrivait jamais de sortir dans la rue avec son appareil pour être frappé, et saisir quelque chose. Attendre l’instant propice lui aurait semblé une perte de temps. Mais il aimait photographier les visages et les corps de ceux qu’il aimait. Et parfois il avait l’intention de travailler longtemps dans un même lieu, de s’attaquer à une idée (les cicatrices sur les visages, les fils de quinze ans avec leurs mères, les cadavres dans les morgues…), qu’il abandonnait vite, par découragements, par ennui des démarches et des organisations. »
Hervé Guibert, « Le critique photo », in La Piqûre d’amour et autres textes suivi de La Chair fraîche, Paris, Gallimard, 1994, pp.41-44.