Ferré 4 ever – et basta…

Michael Hussar - PANDORAComme dans une humeur sans gens, ni dehors, comme pour une baffe sans joue, un air de rien sur une musique vide… y a des jours comme des nuits, des paradigmes imperméables, des cosmogonies stériles, il y a ces « il y a » infinitifs et dérivés, des énonciations sans prétextes, même les néologismes n’amusent pas la bouche, il faut alors repérer le double, le lien, l’oeuf, une source de noir, une source de force qui n’est pas nôtre, mais qui jouera le jeu, pour nous et ceux qui en veulent… du coup, Ferré s’impose comme une enclume dans une mare, je suis un nénuphar aujourd’hui.

« ET… BASTA

Quand j’emprunte des paradoxes, je les rends avec intérêts.
J’enrichis mes prêteurs qui deviennent alors plus intelligents.
Le taux usuraire de l’astuce n’est jamais assez élevé.
Je ne sais pas d’où je viens mais je sais que je suis là
à reverdir, dans cette campagne toscane.
Les rossignols teints au Gargyl chantaient des aubades pharmaceutiques.
J’ai les cheveux trop longs.., comme des voiles de thonier,
mes beaux cheveux qu’on m’a toujours taillés,
mes beaux cheveux longs dans ma tête.
Dans la rue, on se retourne…
Moi, je leur tire la langue

Ô belles pattes des fourrures
Chapeau du vent de ces madames
Inquiétude de la parure
Toiles de soie vers vous je rame

Je sais des paradis tranquilles
où les anges n’ont pas de vin à boire
mais des orages de raison
Des violettes de reverdie –
Je sais des paradis tragiques
où les fauteuils d’orchestre n’ont pas de mémoire
Où les roses ne fleurissent que par osmose, et encore…
Où les passions sont d’un autre ordre
et les mirages d’une autre qualité et de la nuit pourtant venus…
Je sais des paradis-bordels où l’on me fait signe
Où l’on se signe
Où l’on me désigne pour la bonté des mains tendues et des bouches capitales
Comme au petit matin… Tchac
Je sais des paradis naturels
où le mauve tient lieu de drogue
Où l’on peut passer du mauve â la frontière
Je sais des paradis câlins avec la barbe de deux jours
et des saints
Sans foi ni loi
Sans feu ni eau
Avec simplement une ceinture d’émigrant

J’émigrerai quelque jour vers vos pays cachés
Et ne reviendrai plus

Regardez-moi
Passants de rien, poules de luxe, fleurs incroyables
Regardez-moi
Je suis un migratoire, un migratoire
Je suis un vieux corbeau qui court après une charogne
comme un chien de course après le leurre
Je suis un vieux corbeau de la plaine où je vais m’englanant des trucs dégueulasses,
de vieilles graines d’homme qu’on a trop employées
Je suis un vieux corbeau qui court après une corbeaute
Je croasse comme on peut croasser quand on est un vieil oiseau de cinquante-sept piges

Je tiens que le désespoir des ordures est une incompétence biologique
à pouvoir en sortir un jour ou l’autre, coûte que coûte
Quand la merde déborde, c’est encore de ta merde
A ce moment-lâ, je connaissais une chanteuse
Vous la connaîtriez aussi, c’est facile.
Une chanteuse qui a le derrière sur la figure, ça vaut la carte d’identité, non
Et puis, Madame Lechose, taulière blonde, un peu grasse, un peu..
Taulière à L’Escalier de Moïse,
où il y avait de tout, du Fernand,
du Ferré qui chantait au piano, avec son chien et ses grimaces, et son petit cachet
— Dis-donc, Lèo, ça ne te gêne pas de gagner de l’argent avec tes idées?
— Non. Ca ne me gênait pas non plus de n’en pas gagner avec mes idées,
toujours les mêmes. Y a quelques années.
Vois-tu, la différence qu’il y a entre moi et Monsieur Ford ou Monsieur Fiat
c’est que Ford ou Fiat envoient des ouvriers dans des usines
et qu’ils font de l’argent avec eux.
Moi, j’envoie mes idées dans la rue et je fais de l’argent avec elles.
Ça te gêne? Moi, non! Et voilà!

Madame Lechose, un peu blonde, un peu…
Je la regardais, des fois, en chantant, juste en face de moi,
qui n’en perdait pas une, qui n’en perdait pas une de ses fiches,
et le whisky tant,
et le gin-fizz tant,
et le citron pressé tant…
Et mon citron pressé?
La Mère Lechose, un peu blonde, un peu grasse,
toujours à l’heure, comme les vrais artistes, ceux qui travaillent,
et comme ceux qui font travailler les artistes.
Je faisais la salle.
Jamais les clients,
Arkel, mon chien, venait me chercher après le Flamenco de Paris.
C’est tout ce que j’ai eu de vraiment espagnol à ce moment-là.
Ce devait être un chien exilé.
Je rentrais chaque nuit avec le chien dans le désert Paris,
dans cette brume des garages où reste un peu.
le soir, après que les voitures soient passées,
de cette odeur des temps modernes qui vous remonte du fond de votre carter,
portant le deuil des foins brûlés.
Je rentrais chaque nuit dans le désert Paris.
Les putains ne m’accrochaient jamais. Eltes savaient que j’étais un homme public, Elles, les filles publiques…

Alors, comme ça. on se prostitue, Ferré!

Je rentrais chaque nuit dans cette maison douce où gouttait l’eau du robinet,
dans cette cuisine un peu salle de bains, avec sa cuvette…

Je vivais à ce moment-lé avec une femme.
Assez longtemps, avec aussi des problèmes de mouise,
d’attentes au bout d’un téléphone qui ne sonnait jamais.
Le téléphone, quand il sonne trop souvent,
on s’arrange pour faire répondre qu’on est là ou qu’on n’y est pas.
Les importuns ne croient jamais ainsi qu’ils vous importunent et vous êtes tranquille.
On ne peut pas être plus sociabilisé, pas vrai?
Et puis, les commissions, le dentiste, les droits d’auteur minces, minces…
Quand on travaille comme on veut, on touche comme on peut.
J’allais chercher les sous moi-même, toujours moins de cent mille balles.
Pas de chèque, et vite un restaurant dans un bon quartier.
Et puis et puis, les souvenirs s’entassent.
Le mariage vous mine petit à petit.
On est fid&egra
ve;lé parce que c’est l’usage et les années s’entassent aussi.
Les souvenirs, d’ailleurs, c’est du présent discutable.
On est hier, toujours. Moi, je vivais demain et ça fabriquait les malentendus.
Un artiste vit toujours demain, sinon il est fait pour l’usine.
A l’usine, le présent, c’est un cadeau quotidien, incessant, fatigant, dégueulasse.
On peut te congédier, alors tu prends des dispositions particulières pour ne gueuler qu’en
connaissance de cause et dans le silence revenu des retours à la maison.
À la table de travail, devant la page blanche, l’artiste n’est pas là.
Il vit là-bas, loin de tout, du téléphone, de sa compagne, de ses problèmes.
La solitude est une affaire d’ordinateur.
Moi, je me perfore loin des imbéciles et du propos courant. On me hait.
Je m’en fous. Je suis un autre mec. Voilé.

Ni dieu, ni maître, ni femme, ni rien, ni moi, ni eux et Basta

Il y a l’amour… peut-être.
C’est une solution, une solution à un problème qui reste un problème.
Alors… Rien.
Une solution… Un problème… Par quoi commencer?
On donne et on te prend.
Celui qui prend a l’impression qu’il donne…
Arrange-toi avec ça, si tu peux.
Il y a derrière les yeux des gens, une cité privée où n’entre personne.
Une cité avec tout le confort d’imagination possible.
Les gens que tu vois chez toi.
sont d’abord chez eux.
Ils ne te voient pas.
Ils se singularisent dans l’immédiate et toujours constante défense de soi.
Ils ont peur.
Ils sont terribles, les gens.
Ceux que tu appelles tes amis,
ce sont d’abord des gens remplis du moi qui les tient en laisse.
L’homme est un « self made dog »…
Mais il parle au centre du monde,
et le monde, c’est lui.
Il transpire,
il a une queue mais ne sourit pas avec, comme le chien.
C’est tout et c’est trop.
L’amitié, c’est comme le ciment armé
on ne sait pas comment ça vieillit.
J’aime les vieilles pierres.
Elles ne transpirent pas.

Ni dieu, ni maître, ni femme, ni amis, ni rien, ni moi, ni eux et Basta

« L’Écluse »… fin 49…
Drôles de mariniers, sur ces quais néon’cifs
J’étais le pianiste este chanteur.
Cette o écluse o où ma galére échoua, un soir,
entre Barbarie et une Inconnue de Londres,
et deux romances à goémons.
avec une guitare et un gitan, égarés là…
Allez donc savoir…
Et ce taulier, qui me lucarnait derriére son zoom,
un zoom qu’il vous plantait là,
sur le front,
jamais en face,
jamais dans votre zoom à vous,
toujours un peu au-dessus,
comme s’il regardait l’ineffable.
C’est pas mal, un particulier qui sue du goulot,
qui transpire de l’en dedans.
Rien ne sort jamais.
Un lavatory, quoi
Qui garde tout, qui transmet, qui assume sa condition de réceptacle.
L’âme de certains individus m’empêchera toujours de croire tout à fait en Dieu.
J’ai oublié son nom.
Il y a une chance pour les mauvais souvenirs.

Eh Ferré Bonjour, tu te rappelles? C’est moi… l’ordure…
— Qui ça? Ordure ? Tiens, il y en a encore dans le siècle
Je sous demande excuse, Monsieur.

Je ne connais, quant à moi, que des anges…
Ni dieu, ni maître, ni anges, ni rien et Basta

Il faudra que je change de support.
Ecrire sur des champs de luzerne,
sur des biftons «Banque de France », des faux,
sur le ventre de certaines Girls in Magazines.
En tournant la page, on pourra voir, juste en dessous.
Les girls, ça se regarde où ça s’invente.
En dessous de trente ans, c’est plus lisse,
et c’est, des fois, encore un peu môme.
Aprés, ça se froisse, et on les jette.
Il faudra que je change de support.
Le papier, y’en a marre
De ce papier-xylo qui fait grincer, gémir les arbres que je porte en moi.
Quand on scie un arbre, j’ai mal à la jambe et à la littérature.
Quelle horreur, la parlotte
Ecrire partout, à l’envers de toi, sur ton coeur, sur ma loi, dans mon froc,
lorsque tu me regardes précisément et que je te dis que je suis dingue de toi.
pour te faire couler ton printemps court…
Cours, cours, petite, n’oublie pas.
Sur mon cahier quadrillé c’est la misère.
J’essaie de mettre au carreau mes ailes, mon djob.
Rien à glander, to day, au club des métaphores.
Il faut que ma plume feutrée. ma petite japonaise glissante et noire
soit serve d’une certaine rigueur de gueulante.
Le drapeau noir, c’est encore un drapeau.
Il faudrait que je leur lance un Manifeste de la Méthode.
Quelque chose de concret,
du style genre polyester qui aurait l’air de ne pas moisir dans les gothiques
et qui psalmodierait tranquillement des lamentations tocs devant le Mur des Fédérés.
Sur la fenêtre, je pourrais mettre un vieux chiffon rouge.
histoire de bien signifier mes origines.
Des tambours, aussi, et des crécelles à couvrir de leurs criasseries les millions de chev
Paris, Milan, New York and SO and SO On.

Au large,
hommes tergaliens,
boys d’alpaga,
filles jeanisées au maxi, avec vos clous dessinant les orages du Guevara.
Le Che crevé, crucifié, pourri déjà, même sur vos images.
Dépoitraillez-vous, Hommes, s’il en reste,
et venez vous chauffer au bain-marie de ma métaphore,
celle qui appelle chat une amphore et gouttière un vieux thème serbo-croate.
Au large
Monoclez-vous l’oeil de rechange et changez de basse-cour.
Fuyez vers les tramontanes d’Eros,
puisez dans les accordéons des rythmiques plus sûres, vers les caniveaux.
Plongez-y à lune à becs frisants…
Vous y verrez peut-être une gorgée de solitude…
Quand je me regardais, en ces temps, au ras du trotte madame,
la neuille, des fois, une image reflétée me donnait la solution du style.
Ma méthode est simple
Mettez-vous â coucou, Place de la Bastille et prenez-vous pour un serpentaire.
Vous verrez alors qu’il n’y a plus de métaphore possible quand on se dénature,
quand on se désanalyse.
quand on s’antidate et qu’on s’insectise,
quand, mouche devenue, pour prendre le quart dans un hôtel fameux
où la passe est sanguine ou à Bidon’s City. vous pourrez sentir s’exhaler la queen,
et la vrombir, et la gémir, et la voir même prendre son pied à certaines désinences.
Alors, vous aurez accompli la mu
tation que j’attends de vous,
Mouches vertes des prairies du double… Je vous ai créées.

Je dirigeais alors des fantômes bon marché,
des que j’achetais dans des économats spécialisés en bizarreries,
en relativisme du tout-venant.
J’avais une carte qu’on me tamponnait à chaque coup.

L’employé me disait

Alors, ça biche, Ferré ? Vous en prenez pour votre pognon?

Un réverbère propre è décrypter les étymologies les plus perverses
Un chandelier en robe du soir
Un réveille-la-Mors des fois qu’on oublierais de s’actualiser
Un canevas dernier modèle pour tricoter de l’affection technicolore
Des ciseaux pour tailler dans le vif du sujet même si le sujet ne colle pas à la syntaxe
Des hôtels barbelés au travers desquels je pisserais quand même
Des mômes à comètes et à cendriers portables
histoire d’être confortable au risque de payer de leur vie
Des vies punies de vide et de tambours voilés frappant tout doux ta résurrection journalière

Quand je dors je suis mort sans bière
uniquement avec du Coca sur la table de chevet
Je lis des sons particuliers
quand Ludwig sanglote doucement les bras tendus vers la Neuvième

Les épices m’ont toujours brûlé le charme
J’ai du slave qui se balade quelque part entre peau et jactance
La mer, chez moi, dans la rue, cela m’était facile
Je l’appelais, elle arrivait le flot, bouillonnant, au ras de chaussée

L’eau cette glace non posée
Cet immeuble cette mouvance
Cette procédure mouillée
Me fait comme un rat sa cadence
Me dit de rester dans le clan
A mâchonner les reverdures
Sous les neiges de ce printemps
A faire au froid bonne mesure

Et que ferais-je nom de Dieu
Sinon des pull-overs de peine
Sinon de l’abstrait à mes yeux
Comme lorsque je rentre en scène
Sous les casseroles de toc
Sous les perroquets sous les caches
Avec du mauve plein le froc
Et la vie louche sous les taches…

La mémoire et la mer…

Ton corps est comme un vase clos
J’y pressens parfois une jarre
Comme engloutie au fond des eaux
Et qui attend des nageurs rares
Tes bijoux ton blé ton vouloir
Le plan de tes folles prairies
Mes chevaux qui viennent te voir
Au fond des mers quand tu les pries
Mon organe qui fait ta voix
Mon pardessus sur ta bronchite
Mon alphabet pour que tu croies
Que je suis là quand tu me quittes…

La mémoire et la mer…

Cette mer cavaleuse, propre, cynique
Ce toit tranquille, comme disait l’autre
Ce drame mouvant comme un outrage de la nature,
quand j’y plonge, de mémoire,
je m’y perds,
et mot, et mon courage, et ma passion, et ma musique.

le vent y aidant, n’a qu’à bien se tenir.
il se prosterne. ce vent filou des bises des fritures…

noblesse du calendrier.

je ne vais tout de même pas te raconter
comment et pourquoi j’écris des chansons, non?
c’est comme ça
ma main sur te clavier de mon piano est reliée à un fil et ça marche.
je suis un « dicté »
j’ai un magnétophone dans le désespoir qui me ronge
et qui tourne et qui tourne et qui n’arrête pas.
alors je copie cette voix qui m’arrive de là-bas,
je ne sais, qui m’arrive, en tout cas,
et je la reconnais chaque fois.
ça fait comme un déclic et ça se déclenche.
je suis le porte-parole d’un monde perdu,
présent pour moi,
d’un monde auquel vous n’avez pas entrée
parce que si tu y entres,
dans ce monde,
tu perds pied et deviens inédit.
ton foie,
tes poumons,
ton sexe,
tout ça est à toi.
ta tête, non.
si tu es fou,
alors viens dans mes bras.
je t’aime.

68 68 68 68 68

Il y a des chiffres qui me font mal à mon dicteur. 68…
Il s’en fout mon dicteur, il le connaît ce chiffre.
Il l’a fait, comme on fait une partie de cartes.
Les cartes, aujourd’hui, sont mêlées.
Il n’y a plus rien qu’une certaine forme de dictature sentimentale qui vous arrange
et vous endort pendant que les Autres veillent.
Vous ètes vraiment des cons et des malheureux.
Ou bien alors, crève, paysan, crève et passe de l’autre côte de la rue,
avec tes dieux, avec tes maîtres, avec tes pantoufles et tes clopes…

68 68 68 68 Madame la Misère…
Misère c’était le nom de ma chienne qui n’avait que trois pattes…
Ton style, c’est ton cul, eh oui…
quand il a du style
Ça ne dure pas longtemps.
Un cul, ça se met pas au musée des offices.
Un cul, ça se renfrogne et ça se cache un jour ou l’autre.
Plutôt un jour que l’autre.
Quelle connerie

Ni dieu, ni maître, ni toi, ni eux, ni cul, ni rien

68/73 NON STOP

Je suis d’un autre monde et tu le savais bien
Ô toi qui tant et tant me regardais et m’écoutais
Tu m’apportes le fait d’un instant de malheur
Je drisse tout à coup avec ma peine en l’air
Vas-y petit les oiseaux s’en vont de côté cet hiver

68/73 NON STOP
la vie dartiste… C’est dur de ne pas être, hein?
y avait vraiment de quoi
 ça a commencé pour rien, en trombe,
rue des Ecoles et â la Maube
understand?
les drapeaux noirs et les aminches et l’Eté 68
puis les anarchistes
où ça
les purées de Nanterre et ta purée des anges
tu l’envoies, ta purée?
Je signe dès ce jour avec mon double créme
Je vivais dans l’ardeur de notre connerie
la très haute la très grande
et je suis seul ce soir devant le ciel brouillé
NON STOP avec des bulles dans ma tète.
C’est difficile à raconter ce genre de bulles,
même pas au neuro…
Nous n’avez rien compris ni toi ni lui ni eux
Ni rien
Understand?
Quand je pense que je pensais à vous comme à une épure de chantoung
Cette soie je la pressens toujours comme un destin pav&eacute
;
Vous étiez de cette intelligence sûre
Et qui se connaît bien
Et qui drague la nuit les grands auteurs
Pour être sûre d’être orthodoxe
Les mains…
Ah! les mains…
ça me fait peur ces mains tendues et renfrognées et biaiseuses
Vous aviez les mains gercées de rancoeur

De cette rancoeur qu’on promène tranquillement
Sans rien devoir à personne
Avec ces fautes de parler et de syntaxe qui me sont devenues insupportables
Et puis cette culture qui débordait de vos calepins
Oublie-donc Camarade
oublie les soirs épais comme l’encre de Chine
Oublie les yeux drivés par te regard là-bas
Drive-toi pénardement dans les horribles banlieues où tout est bien
Où l’avenir est aux pointés pointeurs
Arrache-toi doucement à la musique d’acier de ce Paris
Qui vous manque dés que vous le déjugez
Vous n’êtes que des Parisiens
Des Parisiens

68/73 NON STOP

Le grand drame des solitaires c’est qu’ils s’arrangent toujours
Qu’est-ce que j’en ai marre
pour ne pas étre seuls. Je l’aï dit
Je l’ai dit
Je l’ai écrit
Je le redis
Je le réécris
Maintenant je fais gaffe.

Je paie des gens pour les besognes élémentaires et ne mange plus avec eux
J’ai gardé ma première facture de restaurant
où j’ai mangé tout seul cet été
Je l’ai mise sous verre et la montre à mon fils
qui a trois ans et trois mois

le lui montre tous les jours
c’est la gravure de mon 68 à moi. On a les 68 qu’on peut.
quand les gens se mettent à avoir une comptabilité derriére les yeux
ils deviennent des comptables

qu’est-ce que je fais ici,
à cette heure,
attendant je ne sais quelle sonnerie de téléphone
me rendant une voix, quelque part,
quelque chose
de fraternel.
d’insoumis.
de propre.
de comme ça pour le plaisir,
de rien,
de larmes j’en ai trop en veux-tu?
de quoi, enfin?
Penses-tu!

le silence,lui, ne teléphone jamais,
et c’est bien comme ça, c’est bien.
la vie ne tient quE un petit vaisseau dans le cerveau
et qui peut déconner â n’importe quel moment,
quand tu fais l’amour,
quand tu divagues.
quand tu t’emmerdes,
quand tu te demandes pourquoi tu t’emmerdes.

faudra que je prenne un jour quelque distance
et dire â qui voudra
mon style de pensée et de vie et de mort
et je m’en monterai doucement du fond de l’An dix mille…

Je suis le vieux carter d’une Hispano~suiza
Une première femme
six ans de collage administratif.
Une deuxième femme
dix-huit ans de collage administratif
Elles ne me voient plus que publiquement
elles savent,
elles me connaissent
Moi je ne les vois plus publiquement
Si je les rencontre,
alors.., alors…
Les rides ça s’apprend petit à petit.
Je sais.
La vieillesse c’est une façon de coup de poing dans la gueule
Au-dessus de trente ans,
allez…
allez vous faire foutre.
Moi, j’ai cent mille ans.
C’est pas pareil,
Je suis un mort en instance et je vous regarde.
On se demande ce qu’on fout à se multiplier par deux
Deux coeurs
deux foies
quatre reins…
Je suis seul
et je pisse quand même.
Le couple?
Voilà l’ennemi
Je t’aimais bien, tu sais

Les souvenirs s’empaquettent négativement
ta mémoire négative,
c’est une façon de se rappeler à l’envers,
c’est plus commode
Les ombres passent, un peu grisées
on pense à des gravures pleines de roussures,
sans grand talent qui dépasse de l’encre rapportée
Les souvenirs n’ont pas de talent,
ils végètent dans un coin du cerveau
un amas cellulaire qui s’ennuie
et qui perd sa charge.
comme une batterie.
La matrice nourricière
I y a urgence.
Le piment. le vrai,
c’est celui qu’on rajoute.
une femme inventée ne déçoit jamais,
seulement, il faut tout le temps en changer.
L‘invention permanente, tout, les dentelles,
le savoir tout en dedans du dedans…
L’érotisme c’est vraiment dans la tète
et puis. pas tellement que ça…
une jupe. un cul de hasard et le reste…
les collants…
c’est de la pure imprécation
J’ai besoin de les arracher ces cuirasses fileuses
La femme en collant peut partir à la guerre,
comme au Moyen-Age

Quelle horreur,
quelle défense d’entrer dans le jardin avec des fleurs
Mener un train d’enfer à une pépée maxi,
le long du fleuve,
une pépée tout encerclée d’idées reçues.
Et pas moyen de lui griffer la chatte
C’est vraiment dégueulasse la moralité Publique.
L’enfer
Une façon de voir et de se laisser voyant.

Ni Dieu, ni maCnt, ni Eros, ni collant.

Des bas oui, des bas,
avec un peu de cette blancheur
qui tend à une géométrie particulière
Un peu de cette blancheur
des fois tirée vers le malheur
et puis l’angoisse du déjà-vu
Du déjà-pris
Je sais de toute éternité
que tu n’es pas à moi
Rien n’est à moi
que l’illusion et encore
Je t’invente tellement cette illusion
Quand je la rencontre,
l’Illusion,
elle m’est déjà ancienne et chiffonnée
Salut Ma petite Camarade, Salut

Mes illusions je les arrange,
quand je n’ai pas envie de leur parler
et de leur dire qu’elles ne sont là
que parce que c’est l’usage
Elle deviennent mes souvenirs controuvés.
Le moulin de Pescia
Le papier
L’odeur
Ce type empaqueteur
Cette machine à pointer, en bas,
Ce soleil de Mars
et cette brume en préface à la belle journée
se préparant,
se fardant
de nuages discrets et prometteurs
de belles coulées de ciel dans ce bleu d’aventure
et changeant comme change ta vie à chaque instant,
à chaque millième de seconde
toi,vieillissant au fil de moi maintenant que je pense à toi,
t’écrivant,
te dictant,
t’improvisant aussi comme une musique de messe noire
Ce péage avec ce mec au mois,
qui s’en fout,
Caron d’un macadam déroutant,
compteur du troubl
e et de l’ennui
Ces accidents abstraits que je m’invente au hasard des 150 à l’heure
Ce retour dans le bleu et cette façon de ne pas être dans le siècle
et tout en y roulant
Cette descente vers les chiens
et leurs paroles rassemblées

Cette pintade mise en route
et mes fureurs de cuisinier sentant mouiller la casserole
et s’attacher à un désespoir ailé
À des oiseaux traqués dans des caisses avides
Et tout ce néant de la merde qui monte à mes babines
Ce code pénal particulier
qu’on devrait pouvoir lire en petites notes en bas de page du livre des recettes
Cette soirée après les autres
Cette machine qui tant et tant dactylographe
Ces cris perdus quelque part et que je n’entends pas et qui retrouvent un coeur sali
Ce pain de seigle qui s’éternise sous la dent dure du couteau scie
Les choses manufacturées qui souffrent à travers celui qui les a machinées
Et ces choses qui souffrent dans l’idée de celui qui les regarde
Ce piano, ma maison ancienne anciennement la mienne
et cette humide honte
Les touches qui s’étaient décollées
et des larmes qui me venaient d’un chagrin de Czerny
De Debussy aussi
Cette horrible aventure qui a désossé mon piano
en attendant qu’on ne le coupe en deux pour en avoir son dû…
La moitié
Mais la moitié de la musique
La moitié de ma téte
La moitié du sentiment banni?
Le code civil distribué en bandes dessinées aux imbéciles inadaptés
Ce parfum de la nuit comme une pièce de piano de Debussy jouée par Gieseking
Cette passion de passionner tout ce qui se passe autour de moi
Les loups promis
Les gufi
Les araignées dessinées avec leur toile
sur ce gadget tire-lire avec son cadavre peint en vert et qui salue
Cette envie de passer vite trés vite

puis quand même m’attarder sur le bestiaire de ma mie
La source et le cloaque
ça dépend du contexte
Les chiens c’est comme les gens
avec un os ça grogne.

Ni Dieu, ni maître, ni mie, ni bestiaire, ni gens, ni os.

la solitude est une configuration particulière du mec:
une large tache d’ombre pour un soleil littéraire
la solitude c’est encore de l’imagination
c’est le bruit d’une machine à écrire
J’aimerais autant écrire sur des oiseaux chantant dans les matins d’hiver
J’ai rendez-vous avec les fantômes de la merde.
les jours de fête, je les maudis,
cette façon de sucre d’orge donné à sucer aux pauvres gens,
et qui sont d’accord
ça et on retournera lundi pointer.
Je vois des oranges dans ce ciel d’hiver à peine levé
le soleil, quand ça se lève,
ça ne fait même pas de bruit en descendant de son lit
ça ne va pas à son bureau,
ni traîner Faubourg Saint-Honoré
et quand ça y traîne, dans le Faubourg,
tout le monde s’en rengorge.
Tu parles!
Ni rien de ces choses banales que les hommes font
qu’ils soient de la Haute
qu‘iIs croupissent dans le syndicat.
Le soleil. quand ça se lève,
ça fait drôlement chier les gens qui se couchent tôt le matin
quant à ceux qui se lèvent,
ils portent leur soleil avec eux, dans leur transistor.
Le chien dort sous ma machine à écrire.
Son soleil, c’est moi
Son soleil ne se couche jamais…
Alors il ne dort que d’un oeil
C’est pour ça que les loups crient à la lune.
ils se trompent de jour.
Les plantes ? Les putes ? Les voitures
Cette voiture aussi qui débordait…
C’était terrible…
Qu’est-ce qu’on riait
Et je rêve aujourd’hui d’une voiture monoplace…
Et ce bois de chauffage qui s’est gelé des tas d’hivers en attendant mon incendie…
Je vous apporterai des animaux sauvés,
l’innocence leur dégoulinant des babines ou de leurs yeux…
Je mangerai avec eux, de tout, de rien.
Je boirai avec eux le coup de l’amitié
et puis partirai seul vers un pays barré aux importuns
Presque tous.
Je suis un oiseau de la nuit qui mange des souris
Je suis un bateau éventré par un hibou-Boeing
Je suis un pétrolier, pétroleur de guirlandes
et de marée plutôt noire comme mes habits,
et un peu rouge aussi, comme mon coeur
J’aime
La multitude
La multitude
Les chiens

Dans la Cité il y a la fête allez-y.
je t’invite à y boire
A mon malheur,
à mes cheveux,
à mes parents.
à mes avions hiboux
Comme en 747
en 747 Je vous le dis
tous ces rampants iront brouter du fil coutil
des ténèbres et du sang mijoté
dans des endroits particuliers
dans des endroits comme à la gauche du sacripant
dont sous avez décidé que je sois le souteneur patenté.
indécis, frivole et centenaire.
Les comptes à rendre ne sont jamais à prendre
Je vous rends des comptes que je n’at jamais eus
que vous m’avez comptés, dûment, précisément.
Les équations sur le grand huit de der
ça me fait bien rigoler.
Cette chanson qui tant et tant me désespère
et que je ne vous chanterai jamais
Je n’ai plus de voix pour vous Plus Plus Plus.

68/73 NON STOP

omme un voilier dans les descentes vers le Sud
En autoroute et des voiliers roulant
Foutez-m’en vingt litres, Camarade
Je descends à la proche banlieue
Celle qui se défait vers le quinziéme,
You see?

Cette banlieue de mes défaites et de votre Vertu, Camarades
Allez-y le sang n’est plus de Une
le sang des réverbères gauchisants
Dans les aciers de cet Orly où je m’envole
Vers où?
Devine!
Je sais des vagabonds pleins de sous de sonnaille
et qui sonnent dans les soirs tristes de Paris
Quand je m’envole et quand tu assassines ce petit enfant
Cet enfant du malheur auquel je fais des signes
Et puis qui me regarde
me mirant dans l’eau verte de ses beaux yeux
Ah la passion des clairs-obscurs sur les minuits
Quand nous allions vers les mirages et les bifs de carême
Je suis Perhaps
Perhaps Peut-être Magari…
Et toi et Lui et Vous et Elle
Elles…
Elles ont toutes une cicatrice qui nous fait des blessures
Elles ont toutes un entre-deux sur lequel je dégueule
Partons partons
68 Cette marée rouge et moirée
Le 10 comme un chiffre soumis
Le 10 du mois de Mai de cet An de soixante et huit
Non stop au carrefour
T’es dingue et je poursuis une comète
Non stop
ô la tendresse de ces soirs inventés

De ces soirs sans heure sans compagne
dans le siècle un peu puant d’étoiles
Non stop
sur une bulle comme une idée poignante

J’ai l’invention qu’il faut pour me tirer de vos outrages
L’outrage le plus absolu est cette poignée de main avec dans l’idée une potence
Et le sourire le sourire Camarade
Le sourire c’est de la peur comptée d’avance
Le sourire c’est une prescience d’outre-tOmbe
C’est un peu la tendresse des insoumis
Ce sourire dis donc
Qu’est-ce que le sourire en dedans de la tête comme une ride intelligente?
Quand les rides ça se met à être intelligent c’est ce qui fait le monde clos.

Ni Dieu, ni maître, ni code, ni quoi,

PAS VRAI, MEC

NI DIEU NI MAITRE

La cigarette sans cravate
Qu’on fume a l’aube démocrate
Et le remords des cous-de-jatte
Avec la peur qui tend la patte
Le ministère de ce prêtre
Et la pitié à la fenêtre
Et le client qui n’a peut-être

NI DIEU NI MAÎTRE

Le fardeau blême qu’on emballe
Comme un ballot vers les étoiles
Et cette rose sans pétales
Qui tombent froides sur la dalle
Cet avocat à la serviette
Cette aube qui met la voilette
Pour des larmes qui n’ont peut-être

NI DIEU NI MAITRE

Ces bois que l’on dit de justice
Et qui poussent dans les supplices
Et pour meubler le sacrifice
Avec le sapin de service
Cette procédure qui guette
Ceux que la société rejette
Sous prétexte qu’ils n’ont peut-être

NI DIEU NI MAÎTRE

Cette parole d’Évangile
Qui fait plier les imbéciles
Et qui met dans l’horreur civile
De la noblesse et puis du style
Ce cri qui n’a pas la rosette
Cette parole de prophète
Je la revendique et vous souhaite

NI DIEU NT MAÎTRE
NI DIEU NI MAÎTRE

PAS VRAI MEC! »

Léo Ferré (donc)

Et basta…

(illustration by Michael Hussar)