oui, oui, oui kipédia, oui… bon…

Corinne Vermeulen gravity%20assist
Article sur la Responsabilité et conscience –
Public/privé, va-et-vient

La responsabilité n’est pas seulement un fait, mais aussi une valeur. En tant que valeur sociale, suivant la perspective adoptée, elle peut prendre des significations diverses : elle renvoie inévitablement à des valeurs éthiques (ou morales), et est pour une part prisonnière des idéaux d’une époque, de leur vivacité et de leur configuration sociale, – en un mot : de la volonté de croire de cette époque, et d’être obéie.

Aussi l’injonction à être « responsable », l’auteur d’une vie « bien » réglée, s’applique notamment à la question de la manière dont nous nous rapportons à nous-mêmes, entre risque et transgression. Suppôts de la responsabilité, nous serions naturellement tenus à un ensemble de devoirs ou d’obligations, y compris la toute première, l’obligation coupable d’« autonomie », par quoi la société entend notre responsabilisation dans un système de compétition sociale[1].

Pour autant, l’anti-conformisme ne dissocie pas forcément de la responsabilité envers nous-mêmes. Cette inflexion individualiste, au sens fort, de la problématisation du rapport du privé et du public hante notamment la littérature américaine sur la désobéissance civile, comme chez Ralph Waldo Emerson :

« Affrontons, réprimandons la lisse médiocrité et le misérable contentement du temps, clamons plutôt, à la face des coutumes, du commerce, des affaires publiques, ce fait qui se déduit de l’histoire elle-même : il y a un grand Penseur et Acteur responsable qui agit chaque fois qu’un homme agit ; un homme vrai n’appartient ni à une époque ni à un lieu donnés, mais il est le centre des choses. Là où il est, la nature est aussi.[…] il faut avoir en soi quelque chose de divin quand on s’est défait des normes communes de l’humanité pour s’aventurer à compter sur soi-même comme maître. Le cœur doit être haut, la volonté fidèle et la vue claire, pour pouvoir sérieusement se tenir à soi-même lieu de doctrine, de société et de loi, pour qu’un simple but soit aussi pressant qu’une nécessité implacable chez les autres ! »
    — « Confiance et autonomie », Essais, Michel Houdiard Éditeur, 1997, p.37,45

Passer à l’acte, passer à l’action [modifier]

Être l’auteur de ses actes ne signifie pas maîtriser la détermination de son destin personnel : être homme, c’est être parmi les hommes, et, selon Hannah Arendt, les affaires humaines sont marquées du sceau de la fragilité, du fait de l’imprévu logé au cœur de toute action comme sa condition de possibilité[2]. C’est la capacité d’inaugurer du neuf qui marque le singulier d’une vie humaine.

Pour Theodor Adorno, cette condition d’incertitude et de fragilité, de « faillabilité »[3] apparaît comme le fondement de la capacité d’agir et de la responsabilité morale, dès lors que le sujet y est engagé dans une enquête sur la genèse et les significations sociales des normes morales auxquelles son existence est d’emblée confrontée.

Décider de quoi, comment [modifier]

Qu’est-ce qui justifie l’autorité d’un acte si l’on veut la séparer du mouvement tautologique qui la ramènerait à la moralité d’une conduite attendue ? Sortir du cercle reviendrait à appr&eacute
;cier le milieu relationnel dans lequel s’enracine l’existence humaine, du microcosme au macrocosme.

Ainsi l’ « éthique de l’intégrité » défendue par l’américaine Starhawk répond au souci pragmatique d’évaluer les effets que l’acte provoque, ses conséquences inhérentes, mais encore les raisons qui le déterminent, sa cohérence interne. Dans cette perspective les choix

« ne sont pas fondés sur des absolus imposés à une nature chaotique, mais sur les principes d’ordonnancement inhérents à la nature. Ils ne sont pas fondés non plus sur des règles qui peuvent être définies hors du contexte. Ils reconnaissent qu’il n’y a pas de choses séparées de leur contexte. […] L’immanence est un contexte, de telle sorte que le soi individuel ne peut jamais être vu comme un objet séparé et isolé. C’est un nœud de relations enchevêtrées, constamment transformé par les relations qu’il forme. L’intégrité signifie aussi l’intégration – être une part intégrale et inséparable de la communauté humaine et biologique. »
    — Femmes, magie et politique, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003, p.68,70

Aussi Toni Negri met-il l’accent sur une certaine qualité de l’exister de l’individu et de la communauté :

« La conception matérialiste de l’éternité, c’est celle qui consiste à ne renvoyer les actions qu’à la responsabilité de ceux qui les accomplissent. Chaque action est singulière, elle n’influe donc que sur elle-même, et ne renvoie à rien d’autre qu’aux relations qu’elle détermine et à la continuité des rapports qu’elle entretient avec les autres. Chaque fois que l’on fait quelque chose, on en accepte la responsabilité : cette action vit pour toujours, dans l’éternité. Il ne s’agit pas d’immortalité de l’âme mais d’éternité des actions accomplies. C’est l’éternité du présent vécu à chaque instant qui passe : une plénitude complète, sans transcendance possible, fût-elle logique ou morale. […] Il n’y a pas de renvoi de la responsabilité : chacun de nous est responsable de sa singularité, de son présent, de l’intensité de la vie, de la jeunesse et de la vieillesse qu’il y investit. Et c’est l’unique moyen d’éviter la mort : il faut saisir le temps, le tenir, le remplir de responsabilité. »
    — Exil, Mille et une nuits, 1998, p.50-51