ici ou là

je me retiens 

souvent de dire exactement la colère

Helen Backstage, Merlin Theatre, Wendy McMurdi, 1996
je me retiens tellement dedans ma bouche que du coup, chaque fois que j’ouvre pour respirer, une invective s’enfuit

je regrette la majorité des souffles que j’expectore
je remords la totalité des intentions que je projette

je suis dans la phase zéro
nous sommes mille et une

pourtant, tout à l’heure, entre mes règles, mes Vésuve, mes superflus, j’ai remarqué que la petite tache de naissance, pas mienne mais celle de l’enfaon, pointé par une infirmière débutante qui avait piqué mal dans ma veine pour calmer les douleurs dorsales, ventrales, totales lesquelles s’alliaient rapidement avec le meilleur, le plus serein, le plus assuré. Cette petite tache de sa naissance, là, accidentelle, se retire. Mes jambes en cure aiguillées par un chirurgien timide depuis qqs mois subissent un état des mieux, je soigne le corporel du bas, et là, cette petite fuite de sang, visible de mille lieues, a disparu, ou presque. Et c’est exactement de ça que j’aimerais dire, parler, écrire. A propos de cette tache évaporée, diffusée, qui était ce qu’il y a presque deux ans, une marque de fabrication, une fois disparue, elle devient souvenir, perception d’un soi revenu, parvenu, déconvenu, les jeux sont faits. Et la jambe, moins bleue, moins rousse, avance donc comme nouvelle. Pourtant elle sait, elle sait qu’elle a eu cette marque de fabrique sans date d’expiration. Alors j’augmente le volume, j’enfle le contexte et dis que mon corps invite à la rediffusion, à la répétition pourtant, il vaque à ses préoccupations, il s’invite autrement, il connait les entrées, sorties, fers rouges, il sait que je vieillis, que les choses développent sans s’interdire une vie qui passe et que j’aurais beau retenir ou oublier, assumer ou feinter, il y aura toujours ce corps marqué de l’intérieur, il y aura toujours cet état passé, archivé quelque part de juste puisque ça a été ainsi. J’aurais bon évincer le couperet, toujours le panier attend ma tête. La perte de l’âge frais se dit maturation, là, assise sur cette cuvette de toilettes, la tête dans le miroir, le sang contre la porcelaine, ce regain, cette forme d’espoir donne une pointe blanche dans le fond de bouteille dans lequel je tourne depuis quelques semaines. là, cette tache envolée, à peine visible me permet d’aller me placer allongée dans le lit trop grand, et d’attendre la nuit comme une chose qui finit et juste moins aussi omnipotente qu’hier. Ce n’est ni la chimie du corps, ni les mots de ceux qui comptent qui sont entrés dans ma gorge, non, juste cette post-tache, cet après-coup, cet hématome intangible. 
Je vais laisser reposer ce qu’il y a de plus important, mon sang, je vais tenter de ne le faire tourner que pour jouir, si je retrouve le temps, si je retrouve la main, si je retrouve la bite qui fera dedans le petit accent méridional. Là, cadenas autour de l’oeil, je vise non pas la serrure mais l’écharde sur le bas de la porte. Le petit truc ressemble à un blasphème, pourtant, il a exactement la portée d’un miracle.

Bonne nuit, Badebec, espérons que tes songes aient la couleur de l’eau qui roule.

 

Quant à toi, je sais que tu mens, je sais que tu mens, tout le temps. Ce n’est pas grave, tu m’apprends, malgré toi à la fin de ce monde dans lequel nous étions amis.