n’approche pas, raison. va avec ce vent qui t’apporte. ne sois fière que de ce que tu n’as pas pu résoudre. n’approche pas, raison. tes torts sont immenses. la fin du monde, tu as beau frimer, arborrer, gicler, personne, même pas moi n’admettra que tu n’es pas loin de la vérité.
tu sais, je me suis rappelée hier de cette scène, en lui disant ce qu’était pour moi la violence. c’est l’injustice. tu avais demandé à venir me chercher dans la classe de biologie. nous étudions laborieusement les marnes, les gypses, le mica, l’argile et leur sédimentation. tu es entrée comme un ouragan qui est passé sur moi. la conseillère d’orientation n’a pas moufté quand tu m’as tirée de la classe par les cheveux et le coude. les autres se sont pétrifiés. tu m’as traînée jusqu’à la voiture, un renault 19 automatique, peut-être. tu m’as secouée, avec la rage de la peur et la peur de la rage. tu m’as même cognée contre le levier de vitesse automatique. N-R-1-2-P. rien ne jaillissait de ta voix, sauf un cri pour dire je ne suis pas celle que tu crois. nous sommes arrivées à ta maison. je la connaissais, je dormais dedans. tu m’as fait monter les escaliers par sauts et lévitations. devant le lave-vaisselle ouvert, presque vidé, tu m’as demandé si je me droguais. j’avais douze ans, j’avais je crois l’image des junkies de la gare, des grands du collège qui fumaient derrière les talus de la cour, des alcoolos qui jauchaient le café de notre famille. je fumais des cigarettes que je te volais. j’embrassais des garçons noirs aux grands jeans en échange de leurs mains sur mes seins naissants mais rien de bien extasié. tes petites cuillères avaient disparu dans le filtre de la machine. cinq petites cuillères disparues et tu avais vu l’héroïne, l’opium, le crack et les substances qui rendent l’innocence impalpable. tu as eu si peur qu’aucune question n’a émergé de ta bouche. je ne me souviens pas de ma voix te répondant car je ne me souviens pas que tu avais posé une question.
je n’ai pas vécu de guerre, je ne suis pas engagée dans la charité, la compassion, la pitié. je suis superficielle et légère face aux génocides, aux famines, aux infanticides, aux pollutions, aux erreurs humaines… mais ne m’imposez pas la vue d’un chat écrasé. jamais.