écrits du 8 octobre 2009

3 ans avant ou après:

Liana Filimonov letter.jpg

Cette première fois, la première fois que, c’était un dimanche ou un samedi, peu importe, ou presque, enfin, non, je ne crois pas que c’était la fin d’une semaine, à moins que ce fût pendant des congés, donc la première fois que j’ai écrit autrement, que j’ai changé d’abord, la première fois que j’ai senti l’écriture comme un engagement, une volonté propre, sans inconsistance, l’écriture comme un engagement au même titre qu’un vote ou qu’un don du sang, l’écriture sans intention de délestage, dans dimension d’exutoire, l’écriture comme une prise de risque extime, bref c’était un dimanche, oui, ça vient, ça me revient, un dimanche sans pluie, ni soleil, un jour neutre, un jour de petits riens, un peu de télévision, un peu de musique, un peu d’œufs sur le plat, un dimanche blanc, peut-être ai-je fait l’amour au réveil, je ne sais plus trop, faire l’amour le week-end, on dirait une chanson cruche, enfin c’était sûrement un bon dimanche avec un chouette samedi derrière, un week-end, mais pour raconter précisément, disons que je pense qu’il y eut d’abord l’écran, puis la tour de l’ordinateur, avec leur petite lumière, leur petite étincelle, oui, c’est pas très romantique l’électronique, j’ai depuis longtemps abandonné le Moleskine, sauf pour mon agenda, quant à l’éternel stylo plume qui crache son venin dans le sac quand on le ferme mal, oublions, on est d’une génération électronique ou on ne nait pas, donc, devant le PC, j’ai dû vouloir m’assoir confortablement mais finalement m’assoir n’importe comment, je prends toujours des positions de fakir pour écrire, je ne me rends pas compte, je me lance dans un texte, je perds la pesanteur, les membres contorsionnés finissent par « mourir », on se lève avec une hémiplégie éphémère, enfin, c’était un dimanche, oui, sûrement, comment j’ai fait pour écrire autrement ? Ai-je relu des vieux textes ? oui, j’ai dû vouloir retaper, reformater des textes écrits dans le carnet noir de l’âme, dans le journal de l’ado, des textes prophétiques dans lesquels on voit le tunnel, le tunnel, le tunnel et jamais son bout, oui, jeune et conne ou conne et jeune, abusant de mots déclamatoires creux comme mystérieux, bizarre, fou, curieux, alliés aux mots dramatiques, mort, suicide, masse, peuple, corps, veine, gorge, univers, rouge sang, noir corbeau, enfin ces connotations du creux de la vague, citant Monsieur Ducasse de Lautréamont dans des cahiers à spirale, bref, j’ai dû vouloir faire ça, retravailler, formuler, apaiser ou catapulter des perceptions obscures, il se peut même que j’ai eu envie de viser quelqu’un, la cible vivante, quelle bonne idée, lapider un « personnage » en chair et en os, on lui enlève le pyjama, comme aux lapins, oui, j’ai dû vouloir expectorer, j’aimais ça, vider les bronches et la gorge sur une victime virtuelle, faut pas croire que ça n’amuse pas d’écrire noir, sombre, gothique, exalté, l’écriture comme une régurgitation, le principe d’inimitié qui fait foi et loi, c’est bon, bon, un dimanche ? Oui, j’arrête de chercher, un dimanche, un dimanche où j’avais peut-être fait une tarte aux pommes avec de la compote de rhubarbe dessous les quartiers de pomme, je réussis bien cette tarte, et certains dimanches, je prends le temps de faire une tarte souvent, j’aime bien couper les pommes en quartier, j’aime un peu moins les éplucher, mais la tarte vaut la peine, un peu de cannelle, de cassonade, pas besoin d’avoir des invités, juste pour mon homme et moi, la tarte du dimanche, comme une recette du bonheur, tiens, d’ailleurs, était- ce un dimanche avec un homme ? Un dimanche de célibataire ? Peut-être que j’étais seule à ce moment là, être seule ou en couple n’a pas forcément influencé mon écriture, j’ai écrit des choses angoissantes en temps de félicité, et des récits doucereux en temps d’orages, alors ? Un dimanche avec ou sans homme, avec ou sans tarte, mais un dimanche, assurément, je n’ai plus de doute, à moins que c’eut été un mardi mais au mois d’août quand tout le monde est en vacances parce qu’un dimanche d’octobre égale un lundi d’août, alors la première fois que j’ai écrit autrement, oui, un dimanche de farniente ? Au mois d’août ? En hiver ? le souvenir de la chaleur n’est pas fort, même si en Belgique, la canicule est un mythe, bref, ça a dû être à peu près comme d’habitude, juste après ce moment imprécis, indécis, gonflé d’urgence, quand je mets la musique fort, que je visualise un passage d’un livre juste terminé, ou d’un film juste adoré, j’ai dû faire ça à ce moment là, « me mettre en route vers l’écriture », « me mettre en écriture », on dit ça, ici et là, et puis un dimanche est un bon jour pour la mise en route, tout débuter les lundis, c’est d’un ennui, voilà, un dimanche, un vrai bon dimanche, pur et dur, un dimanche bien trempé ça devrait être ça, sauf que là, il a dû se passer quelque chose, un objet familier qui grince ou un chat qui miaule, j’ai été happée dans un vortex, le temps d’un moment d’inattention, je ne sais pas trop, il y a bien eu une différence, une cassure, un non-retour, enfin, une charnière, bref… mais à part que… enfin c’était un dimanche, je n’ai plus tous les jalons de la situation, mais en tout cas, ce dimanche là, j’ai cessé de dire JE, j’ai abandonné l’ego, provisoirement, j’ai su y reprendre goût après, avec le choix en bandoulière, mais là, ce dimanche là, un débit nouveau a jailli, un flux non plus gastrique mais hystérique, une logorrhée proche de l’autohypnose a percé ma bouche, on peut visualiser une déviation sans panneau, un virage sans gouffre, tout ça, ces métaphores bien crues, tout ça pour un dimanche, c’était bien un dimanche, j’en suis persuadée à présent, mais pourquoi ce dimanche là, pourquoi à ce moment là ai-je décidé de changer de Je, de dire tu/vous/ils/on ? Parce qu’autant je suis sûre que c’était un dimanche, autant je ne sais plus si je l’ai décidé, je ne décèle pas la prise de position, à savoir si la conscience a joué un rôle dans cette nouvelle propension, la surprise a dû venir avec le résultat, j’ai dû m’échapper, creuser un trou noir avec une pioche flamboyante, les images sont arrivées sans que je me sente exposée, j’ai sûrement senti la liberté de ce dimanche, ce jour de messe où je n’ai prié ni Dieu, ni Diable, ni Sainte Rita, ce dimanche là, en tout cas, il y a eu un écho sans égo, une petite particule élémentaire sans neurone primordial, un électron libre nageant dans la gorge, j’ai sûrement perdu la trace du temps, de la forme, de l’écran, de la tour de l’ordinateur, ça m’arrive sciemment maintenant, c’est même devenu un rituel, une mise en condition, mais ce dimanche là, peut-être était-ce un tour de passe-passe avec les mots, peut-être en ai-je eu marre d’utiliser les mêmes empreintes, revisiter les chemins balisés, ai-je été dépassé par une émotion ? Mais dire que c’était un dimanche est la seule trace tangible de l’expérience, c’est bête enfin, comme ça, je voulais le raconter, mais je ne me rappelle juste que c’était un dimanche, un con de dimanche comme beaucoup de dimanches dans une vie, y coller une date, un contexte, un débroussaillage, vous donner une preuve, tout ceci m’est impossible, peut-être qu’un de mes chats était sur mes genoux, comme dans les photos d’écrivains prises au début du siècle dernier, c’est toujours bien vu pour un écrivain d’avoir un chat, surtout s’il est noir (le chat, pas l’écrivain), et que ce chat noir soit stoïque, c’est bien, ça, un chat stoïque et noir allongé nonchalamment sur un bureau, avec des étagères enflées de livres de toutes sortes, l’écrivain fume une cigarette qui n’est pas allumée, l’image idéale, l’image d’Epinal esquissée un dimanche, on peut dire, même si ce n’est pas sûr que j’avais un cha
t sur les genoux, mon chat noir qui vit encore aujourd’hui, par exemple, que l’appartement était embaumé de relents de pommes et de rhubarbe, bordé de ce soupçon de cannelle… avais-je brûlé du papier d’Arménie dans le salon, et d’ailleurs, était ce à l’époque où l’ordinateur était dans le salon ou dans le bureau, je ne sais plus, était-ce un de ces dimanches où j’avais d’abord fait le ménage, parce que j’aime faire le ménage le matin, tôt si possible, même le dimanche matin, la journée semble alors longue comme une semaine, un dimanche propre, prêt à l’emploi, donc, ce dimanche, un dimanche avec ou sans amour, avec ou sans ménage, avec ou sans tarte, mes activités dominicales favorites dévoilées, je ne mentionne pas la sortie en forêt, l’exposition artistique, le brunch entre potes, mais là, j’extrapole, je voulais, je devais vous raconter la première fois que j’ai écrit autrement, c’était un dimanche… c’était un dimanche… un bon dimanche de… j’ai écrit autrement un dimanche… ou un lundi… mince, un lundi, ça aurait été un lundi ?