C’est exactement là que je t’ai trouvé. C’est ce soir que je rev(o)is ça. Je t’ai trouvé, là. Dans les bras d’une soeur, dans cet appartement d’une seule pièce, douche et cuisine adjacentes, avec ce parquet imbibé de moisissures et de petits trous de cigarettes et de violences conjugales. Tes tatouages sur les épaules plongeant dans son corps blanc, néo-gothique, mou. J’ai défoncé la pauvre porte de bois avec le cadre en verre froissé. J’ai aperçu vos ombres à travers elle. Vous m’aviez évincée dans ce bar où je vous avais retrouvé. J’avais eu beau renverser mon gin tonic sur le crâne de « ma copine » venue de Paris nous rendre visite, j’avais eu beau te tenir par les couilles en sortant des chiottes te précisant que la toucher équivalait à me perdre. Quel beau chantage que le désespoir. Le barman, un ami, avait refusé de te servir un autre verre. Que buvais-tu déjà? Tu as alors volé le verre des pourboires derrière le comptoir, en souriant, comme l’ange déchu. Les tips en pièces ont payé votre taxi. Enfuis, révolus, vous êtes allés vous retrouver. J’ai marché une heure de zone 1 à zone 3; Je suis passée devant ce pub dans lequel je venais te chercher après sa fermeture. Quelle terrible image d’Epinal d’être à 20 ans la rombière allant repiquer son Jacky, son Robert, son Paul au zinc du coin en échange d’un peu de honte. J’ai vu la lumière d’en bas, celle qu’on allumait, nous, pour regarder la télé, pour écouter les musiques, pour te sucer, pour compter les jours avant un autre monde, une autre vie. Quand je suis entrée, c’est d’abord elle que j’ai retiré de ton corps. Je l’ai piétinée sans intention réelle. La faire déguerpir en lui hurlant dessus a été une petite évidence. J’ai senti qu’elle restait derrière la porte, ahurie de ma furie, peut-être. Et puis, en bonne amie, elle s’est sûrement excusée. ça a été toi, ensuite. Toi, avec tes yeux perdus dans l’ivresse et les sucs et les jus des corps. Tes dessins Maori de guerrier sur le torse et les épaules ne t’ont pas protégé, puisque de toute façon, ils étaient empruntés, ils étaient ton image fabriquée pour qu’on te reconnaisse parmi les morts, mais encore aurait-il fallu que tu aies été vivant pour ensuite mourir.
Je t’ai frappé comme une biche aveuglée par des phares. j’ai touché ta tempe droite, j’ai senti le creux de ton oreille s’applatir contre ma paume, puis j’ai senti la douleur aigue dans mon poignet quand j’ai heurté ta cage thoracique. je ne sais plus si tu as résisté, parlé, crié, répondu. Enfin, si, je sais puisque le lendemain, des hématomes dans mes yeux et dans mes bras étaient témoins.
Je me souviens exactement de la sensation de te tuer, d’aimer te faire disparaître en cognant ton être raidi par la surprise. Il y a eu de nombreuses altercations entre nos âmes par la suite, j’ai désiré te tuer par tant de moyens, par tant de reliefs que ma vie s’en trouvait occupée, remplie, comme justifiée.
Il y a aussi eu cette fois où nous étions dans un pub d’Edinburgh. Nous avions pris quelques jours en dehors de Londres pour tester nos liens, notre corde à noeuds. Je passe rapidement sur les inconvénients d’être avec toi durant ces quelques jours. Mais la nuit, quand tu as tenté de m’étreindre en me chantant dans l’oreille une chanson qui dit la fin, une mélodie qui dit le néant, en me sussurrant ce « tu as morflé dis donc » en regardant mon corps mutant et que j’ai sorti ce coutelas de secours que ton père t’a offert quand tu avais 15 ans, à moins que tu ne l’aies volé la nuit d’avant, qui sait, qui savait, quand je l’ai placé contre ta veine dans le cou bien musclé et encore encré de ton dernier tatouage, j’ai vu ce qu’il y avait de pire, une libération, une vérité.
Quand j’apprends ce soir que ton père est mort, honteux de toi, honteux d’avoir été un marocain pétri, honteux d’avoir quitté ta mère et vous 4 quand vous n’étiez que trop petits, honteux d’avoir bu comme le pire des mécréants, honteux de ne pas t’avoir mis une rouste avant tes 18 ans, je n’ai aucune pitié pour toi, toujours pas, mais le mot gâchis résonne, tel un glas.