Noël 2011 – archive irrationnelle

hydrophiles mai 09.JPG2011…

« Vendredi matin, hier, départ prévu en voiture de Bruxelles à Saint Paul, en Corrèze. (près de Tulle où François de Holland trône).
D’abord, la voiture (prêtée par ma grand-mère, immatriculée en France) a été emmenée à la fourrière parce que garée sur un des emplacements des ambulants du marché du vendredi, ce marché pourri au dessus de ma rue. 
Un flic sympa, petit et chauve comme de Funès mais plutôt de Tunis me rend service, esprit de noël ou amour de son prochain aidant. Je n’aurais pas besoin de papier de ma grand-mère, il me fait une fleur et me donne le document de délivrance du véhicule grâce à mon sourire pétri d’embarras de la situation et à sa volonté d’en finir avec sa journée de merde… peut-être était-il juste un bon samaritain coincé dans un uniforme. 

Une marche jusqu’à la déchetterie et 202 euros de moins plus tard… nous partons. Juste Cassius et moi (…).
Cassius chante et crie, nous pleurons tous un peu. Cassius et moi partons. Entre des non décisions et quelques non dits. ça, c’est dit. On y va. En route vers les Mamies.

Nous roulons longtemps, le simple fait de quitter le Brabant nous prend 1h… des poids lourds comme des plaies d’Égypte… par dizaines. La pluie, fine mais lourde. Cassius anime ses marionnettes, construit des objets futiles en Lego, me sourit quand je me retourne, entre deux dépassements de gros culs. Partis de Bruxelles à 12h03 plutôt qu’à 9h.
A 19h, Cassius s’endort, et je crains de faire pareil. Café, froid, vent, marche autour d’une poubelle de station service, musiques fortes et/ou chantantes, je suis fatiguée. Je n’ai pas envie de conduire. Je voudrais trouver un espace et un temps hors du monde, avec Cassius. Ne pas avoir d’urgence, d’obligation, de besoin.

Finalement, à 20h45, je me dis, encore 20 kms maximum et je m’arrête n’importe où. Nous passerons la nuit dans la voiture. 
16 kms plus loin, la Charité sur Loire. La Charité, un des plus beaux devoirs et des meilleurs droits. 
La Loire, mon fleuve favori, celui des bancs de sable, des arrachis, des ponts fortifiés… un fleuve que je connais bien. Et il s’avère que la C. s/Loire est une ville du livre… http://www.lacharitesurloire-tourisme.com/  (Lors de la guerre de Cent ans, Jeanne d’Arc tentera de prendre la ville, elle échouera face au redoutable Périnnet Gressard. Cette seule défaite lui sera reprochée lors de son jugement, « une envoyée de Dieu n’aurait connu aucune défaite ».)

Les deux hôtels à l’entrée de la ville sont fermés. Le troisième: des gens dans le resto de l’hôtel. Je tape mes clés sur la vitre. On n’entend rien, ou on m’ignore. Il pleut fort, j’ai oublié mon manteau à Bruxelles. Cassius dort dans la voiture. La proprio entrouvre la porte. On est fermé. Ah désolée, j’ai vu des gens dans le resto… n’est-il pas possible d’avoir une chambre pour mon petit garçon et moi?non, nous sommes fermés. Pour le prouver, elle referme la porte vitrée, tire le rideau orange et sort de la cuisine, deux grands plats de nourriture (heureusement, nous n’avions pas faim sinon, j’aurais refilé le scénario aux Frères Dardenne (rien à voir avec Michel Daerden, (http://www.youtube.com/watch?v=pBR2jL0lzoE) hein). 

Tant pis, la C. s/Loire n’allait pas être un de ces villages étapes que j’affectionne… Villedieu les Poêles il y a deux ans… Magnac Bourg l’an passé. Des expériences denses et douces. Je quitte la ville et passe sur un pont. 
En me retournant, je remarque un parking tranquille au bord de l’eau. Des arbres, quelques réverbères et un petit parc pour enfant aménagé. Ce serait notre espace de nuit. Demi tour. Je me gare et abaisse mon siège. 
Dans le rétroviseur, une lumière se reflète. Quelqu’un a allumé la lumière à l’extérieur de la maison. Je remarque de suite la coquille Saint Jacques sur le frontispice, éclairé par un spot blanc. Une dame en chaussons, sous un châle sort. Je comprends qu’elle vient vers moi. 
(…)
Ira Schultz a ouvert sa porte, a servi deux parts de gâteau au chocolat, un chocolat chaud à Cassius, un thé citron pour moi. Elle nous propose la chambre du premier. C’est la maison de la Loire http://maison-loire.de/, une maison d’hôte sur le chemin de Compostelle. Ira mentionne son choc d’entendre parler de génocide(s) made in Guéant, Kurdes et Algériens… Elle aime lire l’Histoire et mentionne d’emblée ceci:http://fr.wikipedia.org/wiki/Alliance_franco-ottomane. Puis, sans cesser de montrer des jouets de bois de l’Erzgebirge (connu depuis le XVIIè siècle.  Ils sont depuis cette époque toujours fabriqués en Allemagne et à la main, dans cette région de Thuringe dont le centre Sonneberg a longtemps eu la réputation de ville mondiale du jouethttp://www.museedujouet.eu/index.php/jouet/afficherleblog/ficheblog?id=5) à Cassius, lequel finit par lui faire un câlin sur les genoux, Ira se dit, parle, écoute, questionne… Je suis poète, elle aime bien ça.

Ira écrit on récit de vieS. Sa famille a quitté l’Allemagne en 1933, certains ont ‘échoué’ en Afrique du Sud, en France et aux Etats Unis. Elle dit être la dernière à connaître les liens entre les morts, les vivants de sa famille, qu’elle doit raconter, écrire, faire savoir. Elle travaille dans le médical et aide des personnes âgés, du haut de ses 68-71 ans (je pense), elle crée des tables de conversations qui ont lieu tous les vendredis, elle participe à l’élaboration d’archives socio-culturelles du patrimoine historique de la région, elle est amie avec la directrice du Musée Bibractehttp://www.bibracte.fr/index.php?langue=fr et me parle des découvertes faites dans la région sur les mets raffinés que les Gaulois cuisinaient, elle précise aussi les influences botaniques des savoirs des druides sur la pharmacopée locale et son influence sur la recherche scientifique actuelle.
 Épuisés, Cassius et moi dormons dans ce lit du premier étage, sous un énooooorme édredon recouvert de dentelle de lin… Enfin, nous nous endormons devant Peter Pan. moi d’abord, Cassius ensuite. Nous n’avons plus dormi ensemble, tous les deux depuis trop longtemps. La chaleur de son dos, ses doigts tournicotant dans ses cheveux, son index dans la bouche qu’il suce parce qu’il rêve et ses pieds contre ma cuisse feront que je dormirais que trop peu mais veillerai si doux, si bon. 

8h10. On entend la Loire mener sa vie. Le chuchotement de Henry, le fils d’Ira, avive notre réveil. Cassius descend avant moi car Ira lui a promis la veille, que son fils, Henry, allumerait les bougies du manège de Noël (voir photo). Henry allume les 6 bougies et la manège tourne. Les rois mages et Marie, Joseph et le petit saucisson emmitouflé de Jésus au RDC, les berges et leurs brebis au 1er et les anges de la renommée en haut de la tour, sous les hélices du manège. La magie opère, Cassius hallucine. Un petit déjeuner est servi dans des assiettes de Brême, des sous assiettes et sous bols en argent, des Nussknackers en bois du XIXe. siècle autour de la couronne de l’Avent sur la table. Le sapin (faux mais bien vert) est recouvert de boules, de santons, d’objets qui viennent d’Iran, de Chine, de Turq
uie et de Grèce, pays où Ira et son défunt mari ont vécu. Enfin, son mari était grec, né à Constantinople. Ils ont vécu sur un bateau dans les Cyclades pendant dix ans… Ira collectionne les grands tableaux de scènes bibliques ou d’inspiration… les poêles réchauffent nos langues, nous parlons des mythes, des cycles et des traditions. Elle montre des objets, des meubles (ici, une bibliothèque de design scandinave, une armoire française, un banc sculpté de Prusse, des runes d’or, des sous verres de Téhéran… et des livres d’histoire et d’architecture en allemand (Henry est architecte). Tout est vieux, chargé, doux. La lumière n’est pas encore entrée et nous sommes dans la grotte de Bethléem. Il me manque un châle bleu ciel. Cassius n’est pas circoncis. Sinon, nous serions des avatars d’une histoire (en constante adaptation) vieille de 2011 ans.  

Ira se raconte un peu. Elle passe un 33T de Mireille Mathieu qui chante des chants de Noël en allemand… Ira chante fort. Cassius touche à tout, rit de tout et s’assied sur les genoux d’Ira. Et il n’y a pas que la convoitise vers le calendrier de l’avent duquel Henry a presque tout mangé les chocolats qui le maintient intéressé. C’est Noël. Elle insiste pour que nous appelions ma mère, M. … je suis sûre qu’elle a le numéro de Dieu, d’un dieu.

Je visite le reste de la maison, Cassius montre à Ira comment faire pipi, comment fermer une porte, comment allumer une bougie. Et comment ouvrir les petites portes en carton du calendrier de l’avant qu’il ne cesse de « ranger », de remettre à sa place.

Nous sommes partis vers 11h, sans envie de quitter l’esprit de la maison. Ira m’a tenue la main de la maison à la voiture. Elle avait depuis le matin aidé un voisin à appeler un autre voisin et renseigné un passant perdu sur le chemin de l’hôpital en lui permettant de téléphoner de chez elle. 
J’offre des pâtes de fruits (bio), un peu de massepain pour Henry. et je paie 40 euros. Nous nous embrassons, elle caresse mon dos… mieux qu’une séance de Reïki.

Nous levons le camp, sans oublier de passer par la Confiserie du Prieuré où nous achetons des Faïencettes et du thé Sweet Granny pour les mamies. Des librairies jalonnent notre petite promenade. Sous un soleil blanc et chaud. La route vers Saint Paul trace encore quelques lignes. Bourges, Châteauroux, puis l’A20 jusqu’à Tulle. Encore 60 kms, Cassius s’endort. Je suis pressée d’arriver chez Anne-Marie et ma mère. Luna, Rêve et Carrie, les chiennes nous accueillent. Cassius est enfin avec ses mamies, y compris son arrière grand-mère. Nous relatons le périple, du noir au gris, du gris au blanc. 

Comment aurions-nous pu savoir que c’est à la Charité sur Loire que ma grand-mère, alors âgée de 10 ans, accompagnée de son oncle et de sa mère (qui allait mourir 4 ans plus tard, foudroyée de peur sur un quai de la gare de Pont sur Yonne) connaissait très bien le puits et une maison avec un grand porche près de l’église de la ville. Cette même église que Cassius et moi avons visitée et qui s’apprêtait à accueillir la messe de minuit (qui était prévue à 20h) avec la répétition de la naissance de Jésus avec des enfants de 6 à 12 ans, habillés en moutons, âne, bergers, Joseph et Marie (laquelle secouait d’ailleurs fortement le poupon qui devait servir d’ersatz à l’enfant divin). 
Comment aurais-pu savoir que lors de l’exode, pour échapper aux Allemands, ma grand-mère, sa mère et le frère de sa mère, fuyaient dans un Paccar. Ma grand-mère, assise sur un réservoir de 200L de pétrole, au milieu des bombardements, avait du sauter à plusieurs reprises du camion. Une fois, elle avait sauté dans des « toilettes publiques », à savoir les fossés des chemins enflés de merdes, de diarrhées (famine et …) pour se cacher. 
C’est à Charité sur Loire qu’elle et sa mère ont caché l’oncle sous un matelas près de ce puits, dans un recoin derrière ce porche de cette maison qui avait été squattée/pillée par des français en exode, profitant d’une maison abandonnée par ses habitants eux-mêmes partis avant eux. C’est à Charité que mon grand grand oncle a été sauvé, bien caché, (il n’a pas bronché quand les Allemands ont tapé le matelas avec leurs fusils, de toute façon, y avait trop de détritus, de matelas sortis des maisons pour qu’ils s’attardent sur celui ci spécifiquement). 
Ma grand mère et sa mère ont du rentrer dans l’Yonne, elles, mais c’est à Charité sur Loire que cet oncle n’est pas mort (et qu’il a pu traverser la France). C’est à Charité qu’elles ont été renvoyées chez elles, grâce à l’échange d’un veau que mon grand grand oncle venait de faire tuer et de griller dans un feu derrière l’église (que j’ai visitée ce matin avec Cassius). Aussi parce que mon arrière grand père André Loyer  (père et mari des femmes sus mentionnées) avait disparu à la guerre et que mon arrière grand mère avait sur elle un document de la Croix Rouge suisse qui enquêtait sur la disparition d’André, son mari, et qui allait les tenir au courant s’il était retrouvé. (il le fut l’année d’après, vivant et résistant).

c’est Noël… je crois.

alors, joyeux… »