Tu es l’animal, perché, terré, aux aguets. Peu importe le coin, tu observes. Queue et yeux vrillés dans l’absurdité de la cité. Tu es un grand animal, de ceux qu’on craint parfois. Pourtant, la plupart du temps, on ne te voit pas, on ne te sait pas, on ne te sent pas. A la limite, on perçoit une ombre, une sensation de présence. Il y a bien des lieux pour te trouver endormi et t’observer sans tracer. L’un d’entre eux. Le lit. Grand lieu de ton abandon. Tu sais écarteler tes membres de sorte qu’on peut te penser souple, plus grand aussi, plus à l’aise, plus en lien avec ce qui est vivant. C’est au lever du jour qu’on perçoit ton incommensurable maladresse, de celle que les échassiers et les albatros ont en commun. Tu traverses alors l’espace de manière dirigée. Faire ça, refaire ça, passer là, pour faire et faire et faire quelque chose qui soit cohérent avec l’espace. Organiser, viser, dessiner le moment, comme si tout avait une raison d’être. Tu te rends indispensable par ta démesurément grande adaptation. Tellement que tes contours entrent dans les murs, dans le sol, dans les draps. Ta place est en fait toute la place. Ta perte est en fait toutes les pertes. Dehors tes errances sont nobles. Elles permettent aux moineaux, aux chats, aux renards de ne pas craindre l’humain, en tout cas à ce moment. Ta transfiguration passe par le regard de ces êtres du silence. Tu n’auras pas d’autres choix que d’avoir un imaginaire cosmique, des rêves sibyllins, et des tourments universels. Je te dis tu car il semble que malgré les apparences du flou et du trou, je te connais, je crois même que je t’aime, entre les marais et les dénivelés. Au fond du bâtiment que tu habites la plupart du temps, entre un ascenseur et un couloir, un passage étriqué mais pas pour ton corps. Vers un jardin qui attend que tu y meurs. Comme un animal qui connait sa dernière place, tu t’y loveras entre tes dernières syncopes. J’imagine que tu auras choisi l’essence de l’arbre, l’hydrométrie de l’humus et la couleur des feuilles pour t’accompagner dans ton dernier paysage. Quelque part dans la rétine qui me tient au monde, je sais quelles lignes t’appartiennent et quelles sinuosités m’ont invitée à danser.