Oui, nous en parlions, souvent. Les mots enflés des évidences qui nous encerclaient.
Oui, nous en parlions énormément. Il était sans cesse question des corps violentés, intimidés, mis de côté. C’était à la fois reconnu et inconnu.
Oui, nous en parlions, évidemment. Certains d’entre eux rapportaient les récits que nous avalions dans nos gorges exsangues et obsolètes. C’était cru, bien trop cru.
Oui, nous en parlions, à tout moment. Même au creux de nos silences amers, nous ne faisions qu’être dans ces états là, amoindris par les nouvelles autorités.
Oui, nous en parlions, pourtant. Certains d’entre nous espéraient qu’une étape retournant vers le vivant serait franchie, d’autres luttaient avec leurs idées entre les dents tandis que leurs abdomens pourrissaient, d’autres enfin, savaient que la gangrène morale faisait office de mérule dans les rues, les bureaux et sous les tables des instances.
Oui, nous en parlions, comme des enfants. Parce que nos jeux n’étaient pas tous ternis, parce nos amours n’étaient pas encore tous corrompus, parce que nos yeux n’étaient pas encore tout à fait cousus.
Oui, nous en parlions, absolument. C’est difficile de se souvenir de tous ces moments d’avant, j’en conviens.
C’est au moment où nous n’avons plus su en parler que nous avons compris que l’effondrement humain couronnait nos touts. C’est à ce moment que nos corps n’ont plus su marcher, pleurer, évoquer. Mais je jure que nous en parlions. Peut-être n’étions nous pas assez? Peut-être n’étions nous pas entiers? Peut-être n’étions-nous pas parés contre l’horreur? Peut-être aurions-nous dû fermer nos mots et attaquer en premier?
Aujourd’hui que tout est clos, qui peut dire ce qui était possible? Mais je crois me souvenir… oui, nous en parlions.
(c) Milady Renoir
Illu de Gabriel Von Max – Les Singes critiques d’art