Merci à l’équipe du CNCD pour l’invitation et la possibilité d’écrire entre les lignes de leur campagne: le Justice Fiscale Tour, qui devait sillonner les routes de Bruxelles et de Wallonie, et qui a été adapté et digitalisé. Il devient le Festival Digit’ Justice fiscale. Du 11 au 20 mai, dans le cadre de la campagne « Les multinationales doivent payer leur juste part », ce festival en ligne propose plusieurs rendez-vous participatifs : conférences live, concert, minutes culturelles, assemblée citoyenne, etc.
Il accueille une multitude d’invité.e.s de qualité tels que Monique Pinçon-Charlot Charlot, James Galbraith, Paolo Woods. Un débat politique sur la justice fiscale comme levier pour sortir de la crise se déroulera le vendredi 15 mai avec les chef.fe·s de groupes politiques francophones à la Chambre.
J’ai été invitée à écrire une sorte de compte-rendu sensible durant les interventions des invité.e.s et voici les deux textes issus de cette écriture performative d’urgence. J’ai eu envie d’appuyer mes deux interventions sur deux termes emblématiques des moments de « crise » : La disparition et l’apparition sortis d’une proposition d’écriture d’une amie, Aliette Griz. Ce que je vais lire s’est écrit pendant l’écoute des interventions, à partir du sentiment de ce qui disparaît, a déjà disparu, disparaitrait.
La vidéo de la conférence en entier comprenant mes deux interventions se trouve ici.
« Je te regarde
En fait je regarde chaque personne qui respire qui marche qui avance qui nait qui fabrique qui agit qui réagit qui pétrit qui s’rend malade qui tombe malade qui est prêt à tout …
Je regarde certaines personnes plus que d’autres, remarque
Toi … Là
Ben, je te regarde
Je ne te vois pas
Enfin, je ne vois qu’une partie de toi
Tu m’connais
Je m’appelle l’ombre
J’ai l’habitude de faire sombrer
Basculer, contraster, j’ai le phénomène facile
Je fais partie de tellement d’éventualités
J’ai la lueur d’espoir dans le collimateur
Je glace les croix, réchauffe les obus
Je défonce les murs qui font maison, qui font gestion, qui font confort
Mes outils favoris : la massue et le brûlis
Je n’aime pas bcp la photosynthèse et la biodiversité
Encore moins ceux qui la revendiquent
Tu veux que je t’en dise plus ?
Dans ma famille
Y a une fratrie bien puissante
L’Absence, ma sœur
Le creux, un frère
Et puis
L’urgence, ma mère
La peur, notre grande aïeule
J’ai grandi vite,
Je grandis encore, de jour en jour, depuis toujours
Je t’l’ai dit, je me relie à toutes les manifestations des gens
Dans le travail
Dans l’effort
Dans la lutte
Dans l’amour
Dans le couple
Dans la rue
Dans le rien penser
Dans le bien fondé
Dans les alliances
Dans les conflits
Dans le plaire à tes parents
Dans les droits sociaux
Dans le faire commun
Dans les dimanches
Dans les rêves
Je m’immisce
Regarde le maquillage des visages défaits
Les mines blafardes ? Tu les vois ?
J’y suis pour quelque chose
Tu peux me remercier puisque j’ajoute de la complexité
Je suis donc une valeur ajoutée
mais
Te sauve pas, tu peux pas
Je suis une pluie sincère
Une chanson en douce
Loin de se la couler douce…
Regarde dans ton wallet
Mate ton crédit
T’as une fin de toi difficile
Tu pèses lourd
Tu pèses rien
Même traitement
Soyez contents
Soyez mécontents
J’avance
On me traite de monstre
Mais oui
Monstrifier est une résistance
Fais de moi ton monstre et je te mangerai mieux
Sois en colère ? Et j’enfle
Tes veines palpitent de perdre ton job ta famille ta conscience
J’ouvre la bouche encore plus grande
Vacuité
Vanité
Tout ça, c’est du dessert
Tu t’insurges
Tu mets ta gorge dans l’avenue
Tu arbores un gilet jaune ou noir
Je déchire le tissu
Scarifie tes peaux
Je te LBD
Je te taser
Oui
J’ai adapté mes armes,
D’années en années
Faut dire qu’on m’a donné les moyens
Oui c’est cruel, injuste,
parallèle au bien commun
Contraire à la justice
C’est que…
Je suis très capricieuse
Je suis l’ombre
Je fais des tours de magie
J’agis dans ton dos
J’ai dormi dans les dortoirs militaires
Je roule sur des chemins de fer de cobalt congolais
Je sniffe l’uranium burundais
J’ai le béton prêt à couler dans ta tête
Bref
Tu sais que je tiens la Terre entre mes mains
Je sais que t’aimes pas ça
Que j’ai la paume sur le bouton rouge
Et que toute cette pandémie me rend fébrile
Et terriblement excitée
Je suis là, je te vois mais je ne te regarde pas
Je t’écris tout ça en me foutant du reste
Et puis, après, je me foutrais de toi
C’est facile d’être derrière chacun d’entre vous
Vous êtes nombreux
Je suis unique
Je vous noie comme des chatons
Je règle des ultimatums sur l’horloge du salon
Lève les yeux
Puis baisse les yeux
Puis vas-y
Ça m’est égal
Je suis résolue
Lève toi et marche, et renifle
J’ai mis mon souffle dans ton dos
Je suis là.
Pour certains mouvements révolutionnaires, radicaux de mise en œuvre d’un geste politique vital et sain, la question d’occuper l’espace ou de quitter l’espace est vitale.
Pour cette seconde intervention que je voulais coller au mot « Apparition », j’y ai ajouté la substance à mon sens politique du mot « visibilisation » et j’ai mélangé des voix qui ne sont pas les miennes.
« Tu fais quoi ?
T’as nettoyé la gazinière ?
T’as nettoyé la gazinière avec du bicarbonate ?
T’en as trouvé avec la pandémie ?
Avant pandémie, tu disais quoi ?
T’as mis un pansement sur ton œdème ?
Non, merci, J’ai pas faim
Ça passe pas
J’habite la maison d’à côté
Par ta fenêtre tu peux regarder mon jardin
L’herbe y est plus verte
Plus tendre
Tu savais que l’herbe, ça pousse par le milieu ?
T’as acheté de la farine ?
T’as changé l’eau des fleurs ?
C’est quand même un beau bouquet, dommage d’avoir pris un gnon pour le recevoir.
T’as ouvert ta bouche ?
T’as ouvert ta bouche !!?
T’as dit merci ?
Il t’a dit pardon ?
Il m’a demandé si j’avais parlé.
J’ai pas de voix, ça se voit non ?
Venez, je vais vous faire des crêpes !
Ah ben y a pas que la carrière qui est brisée.
Non, je me souviens pas en fait, ça s’est passé très rapidement.
Le petit dort dans la pièce d’à côté.
T’as mis de l’isobétadine ?
Sinon, un cataplasme d’argile verte.
T’as lu la note de bas de page ?
T’as lu le son triomphe ?
Il était beau, tout fier, tout meurtrier, super vaillant…
Bon, ça c’était lundi…
Dimanche, ben, il était penaud, faut dire qu’il sait bien utiliser la honte et la faute
en plus de ses mains quoi.
Ben, écoute, je sais plus sur quel pied danser.
La cuisine, la chambre, ce sont des couloirs, des tunnels.
T’as pas un trampoline ?
T’as pas un accélérateur de particules ?
Non, non, j’ai pas de chien, non, j’ai pas de gestes barrière non plus
non, j’ai pas de chien non, j’ai pas de chien non, j’ai pas de chien non, j’ai pas de chien
T’utilises quelle contraception ?
J’ai vu un tutoriel pour éliminer les racines grises
Mais pas pour augmenter la matière grise hahhaaa
Mais t’as pas de compresses ?
Mais t’as pas une autre vérité ?
Mais t’as pas une chambre d’hôtel pour te confiner ?
Oh tu sais, si je dois décrire la sensation,
C’est comme avaler une mie de pain de travers mais avec un colson sur la trachée
T’as pas un respirateur pour que je puisse rouvrir le thorax ?
Y a du gâteau de maïs dans le four !
J’ai une humeur d’œuf dur
T’as pas des épaules larges à me prêter ?
Ou des après skis…
T’as pas pris un peu des fesses ?
Heureusement que les vidéos conférences ne montrent que le haut, hein…
ou t’as pris des seins aussi?
T’as pas un autre contrat mi temps ?
T’as pas un travail au noir ?
T’as pas un silence en trop ?
Si, si, j’ai reçu un colis alimentaire.
Y avait des sacs plastiques et des masques en boyaux de chats.
T’as pas un désir de solitude ?
T’as pas un désir d’alliance ?
T’as pas un autre schéma ?
Tu savais que Ebola c’était d’abord le nom d’un fleuve en Guinée ?
Attends, j’ai un bon mot :
Je cherche un tutoriel sur le bain d’état de siège.
T’as pas un quotidien qui relie mes points ?
Mais oui, j’ai mis le linge dans le linge
Et oui, j’ai mis la vaisselle dans la vaisselle
Et oui, j’ai mis la poussière dans ma tête
Y a les chats qui ont vomi.
Y a le dedans qui a vomi aussi.
Dis, t’as pas une encyclopédie de la femme ?
Dis, t’as pas un manuel de l’homme ?
Dis, t’as pas une sexualité alternée ?
Non, mais j’ai pris la voiture et j’ai conduit jusqu’à la forêt. J’étais super fatiguée.
J’ai vu des drones avec des pénis comme caméras.
T’as entendu ? Y a la rue qui t’a appelée pute.
J’te jure, presque personne et bam le mot pute.
Tu crois que Sophie Wilmes est une bonne mère ?
Tu crois qu’elle répète chaque matin au p’tit déj à ses enfants : prenez soin de vous ?
Tu dépenses combien toi dans ton panier de ménagère ?
T’as déjà entendu parler du viol conjugal ?
T’as déjà pensé à mettre ton corps dans un carré rouge ?
Attends, je vais sortir le tiramisu au spéculoos du frigo et la soupe en boîte du micro ondes.
T’as pas un bazooka ? Ou un Kayak ? Ou un radeau ?
Tu m’prêtes ton lait maternel ?
Tu m’files ton sang menstruel ? Juste une petite fiole.
Oui, j’ai pris toutes les précautions. Toutes.
Oui, j’ai pris tous les doutes. Tous.
Je sais pas coudre, et toi ?
Je sais pas moudre, et toi ?
Je sais pas pondre, et toi ?
T’as pas une bonne blague ?
T’as pas une bonne blague sexiste ?
T’as pas une bonne blague sexiste raciste ?
T’as pas une bonne blague sexiste raciste classiste ?
T’as pas une bonne blague sexiste raciste classiste validiste ?
T’as pas une cystite ?
Attends, j’fais un petit break… là. Je veux bien qu’on fasse un truc…Tu veux bien entendre chaque mot à suivre et laisser agir en toi ? Viens un peu…
Éclore
affleurer
émerger
éperonner
arborer
étreindre
confier
dévoiler
déconfiner
divulguer
fouetter
froisser
meurtrir
montrer
navrer
paraître
passer
percer
perler
piquer
pointer
pointiller
pousser
s’ébaucher
s’élever
s’éveiller
se dévoiler
se lever
se manifester
se montrer
se peindre
se profiler
sortir
sourdre
surgir
transparaître
transpercer
Désirer
Affirmer
Luire
Germer
Apparaître
Apparaître
Apparaître
Apparaître
* Jusqu’à se défoncer, démolir, exploser,
nous ne mourrons pas, notre soif grandit.
* Cette formule du nous vient de de Josée Yvon, poétesse québecquoise, issue de son recueil Filles–commandos bandées, paru en 1976″
© Milady Renoir pour le CNCD – 12 mai