Temps peste

(deux minutes avant l’orage – Quartier Nord ou presque – Bruxelles, juillet 06)
 
« Car, Seigneur, les grandes villes
sont décomposées et perdues.
La plus grande est fuite devant les flammes,
il n’est pas d’espérance en leur desespoir
et leur faible durée passe.

C’est là que vivent, dans la misère et la détresse,
en de profondes chambres, des hommes au geste anxieux,
plus angoissés que troupeau d’agneaux
alors qu’au-dehors ta terre veille et vit,
eux cependant, qui existent, ne le savent plus.

C’est là que des enfants, aux rebords des fenêtes,
grandissent, à jamais plongés dans une même ombre,
ignorant que dehors chaque fleur les appelle
à un jour rempli de l’espace, du bonheur et du vent,
il leur faut être enfant, ils le sont tristement.

C’est là que, pâles et blêmes, vivent des hommes
Qui meurent étonnés du monde dur à vivre.
Et nul ne voit la grimace béante
Que devient le sourire de cette douce race
Au long des nuits anonymes. »


Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort, 1923

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