ces plis que l’on prend dans ses doigts…

Le monde de Leibniz est fait d’une infinité de plis. La matière inerte est pliée sous la pression de forces extérieures. L’organisme est formé d’un pli endogène et plie ses propres parties à l’infini. Les idées sont pliées dans les âmes et le fond très obscur des monades est comme une draperie noire striée de myriades de pliures, que parcourent les petites perceptions.


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La puissance du concept de pli est de poser en même temps la distinction réelle et l’inséparabilité. Car entre l’âme et le corps, une fois posée la distinction, il n’y a pas seulement convergence, ou harmonie universelle, il y a aussi l’ensemble de ces phénomènes de rabattement du haut sur le bas. Il en résulte qu’on ne peut pas dire où commence l’intelligible et où finit le sensible et qu’à ce titre il n’y a pas de contradiction entre le principe des indiscernables et le principe de continuité. C’est un point extrêmement important dont le vinculum substantiale peut nous donner une idée. Nous retiendrons principalement quatre aspects : 1) le vinculum fonde une théorie de la double appartenance qui fait qu’un corps appartient à une âme et que des âmes appartiennent à ce corps ; 2) il donne au corps son unité, de sorte qu’à travers le flux de la matière quelque chose demeure, identique ; 3) il est une liaison primaire non localisable entre une constante et des variables : “ la relation est extérieure aux variables, de même qu’elle est le dehors de la constante ” (15) ; 4) il définit une zone intermédiaire. Le pli est le dehors ; il est cette ligne infiniment mobile, pur virtuel, qui, en vertu de ses torsions, constitue des domaines distincts, chacun avec son régime propre (âme et corps, lisible et visible, voire forme d’expression et forme de contenu) ; mais il est aussi ce qui dresse la carte des passages entre les régions ainsi distinguées. Avec ce concept de pli, nous retrouvons l’intuition profonde de la philosophie deleuzienne : décliner les virtualités, décrire des agencements, repérer les lignes de faille, et tracer la diagonale qui est puissance d’invention, expérience du futur comme temps de la pensée.


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