J’avais laissé ma tête sur la table, finalement. (mépris)

 

J’avais laissé ma tête sur la table, finalement.
La nappe élimée, avec ces motifs pommes et fleurs de printemps, a retenu l’empressement que ma tête avait pris en chutant sur la table. Le poids, la gravité et la petite inclinaison que cette table de cuisine a toujours eu. 
Tout s’est accordé sans embuche.
A savoir. Un des pieds de la table plus court ou les tomettes du sol bien trop irrégulières. A savoir.
En tout cas, cela m’a permis de ne pas avoir le visage trop amoché.

Quand les convives sont arrivés, quand tu as sorti le Gevrey-Chambertin de l’année de notre rencontre, quand tu as fait revenir les petits fallafels que j’avais préparés dans de l’huile de sésame, tout était doux, à la faveur de l’été débutant.
C’est Daniel qui a remarqué que la table était encombrée. Lui, sa morale, son éternelle disposition de ne pas entrer en conflit. Il a délicatement repoussé ma tête jusqu’au milieu de la table, de sorte qu’elle touchait le pot de basilique frais, le dessous de table en liège. Quelques coques de nèfles laissées là, suite à une cueillette prospère. Au moins au centre, ma tête ne risquait pas de s’écraser sur le sol. Sol d’ailleurs un peu sale. Un peu de pluie la veille, quelques traces de terre…

Tu parlais fort, comme lorsque tu es heureux d’être vivant. Jeanne et Viviane, en bonnes voisines, avaient apporté du pain frais et des pêches de vigne. Jeanne a toujours cherché ta présence, ton contact. Là, elle déborde un peu. Elle porte une robe décolletée dans le dos, ce qui tire l’attention loin des rides creuses de son visage.
A vous observer tous ainsi être dans le sourire, la joie et l’humeur solaire, j’en aurais presque regretté d’être tuée. Vous trinquez à la santé, à l’amour. Ça me fait plaisir que ce sujet soit abordé. Ce sujet de l’amour. Ce que toi et moi n’avons finalement qu’abordé. Nous sommes restés à l’orée de notre penchant. Un sentiment profond, fort, proche de l’amour nous a tenu pendant ces années. Avons-nous été heureux ensemble ou en même temps ? Je me le demandais souvent. Terminé. La question ne se pose plus. J’ai perdu, si pas la raison, l’énergie de délibérer.

Vous passez dans la salle à manger. Le soleil semble être complice, il perce quand vous entrez. Je vous regarde tranquillement. Je suis soulagée de ne pas avoir à tenir le crachoir ce soir. Fatiguée, je plonge doucement dans un souvenir et laisse mes paupières s’enclore. Le soleil les traverse et réchauffe ce qu’il me reste de corps.

 

© Milady Renoir – Juillet 2012

La photo de Martine Cornil n’est pas visible et je ne la publie pas ici vu que je n’ai pas son accord et que le texte n’est pas une illustration.