J’habitais un squat avec 4 cuistots napolitains dans d’anciens bureaux au dessus de la station de métro Stockwell. Je bossais de nuit dans un resto-bar homo de Soho. J’y étais cheffe de rang et assistante sociale bénévole pour abonnés des fins de soirées déplumées. Des clients étaient Kate Moss, Carla Bruni (pré-chirurgie – pré-Sark(ap)ozy), l’égérie mec d’Hugo Boss (Werner Schreier), Etienne Daho, Patrick Juvet et sa maman (elle habitait South Kensington) et quelques autres personnalités « hype » des années 90. Un jour, le plafond du resto s’est effondré suite à une fuite d’eau tsunami des cuisines situées au premier étage. Des clients en descente d’XTC et autre substances (dont les Dandy Warhols cette nuit-là) continuaient à manger de la fusion food et des cocktails crétins en trouvant les trombes d’eau et les pals décalés des ventilateurs en train de vaciller hyper cool. Après l’évacuation et la fermeture par les deux patrons défoncés à la coke, trouvant les firemen so sexy so kinky, je suis rentrée chez moi à l’aube. Chômage technique et gueule de louve. Créatures nyctalopes, rues enflées, jambes et âme lourdes. Je marche de Soho vers le sud. Quand j’arrive devant chez « moi », une vieille voisine vivant entre rue et council flat (HLM) me donne une boîte à chaussures dont des pattes rousses débordent de chaque côté. Dedans, Tiger, mon jeune chat fou et drôle, froid comme un gant sur le bord du lavabo, raide comme un Y. Elle n’a pas trouvé de carton assez grand. Sa gueule écrasée-aplatie mesure le choc. Un camion l’aurait buté la veille, Georgia a vu la scène, a même entendu le crac mais elle n’avait pas les bonnes lunettes et n’a pas pu noter la plaque. Elle avait mis Tiger dans son frigo en m’attendant, pour pas qu’il sente la mort. Belle attention. Aube orange. Poils roux. Rire jaune.
Je prends la boîte à chaussures Marks & Spencer, le petit ruban que Georgia a passé autour de la boîte se défile sans cesse. Je vais l’enterrer à Holland Park, mon repaire sérénité où le garçon doux et coursier fou que j’avais tant aimé donnait des cours de tennis à de vieilles bourgeoises iraniennes imbibées d’ennui, d’or full carats et de Guerlain.
In the underground, les gens entre City et shopping déjà s’embarrassent peu de mon allure post-apocalyptique, de mon chagrin et de mon chat-roux que l’odeur de mort a fini par engloutir. Il a plu, heureusement, l’humus est plus simple à creuser. J’ai pas de pelle. Je refourgue le bon compagnon à la terre, fabrique un petit fétiche natures & découvertes fait avec des machins trouvés dans le parc. Je dégage la boîte et le ruban dans une poubelle. Lapins, renards, écureuils gris, joggers, gamins en uniformes, vieux classieux. Clichés réparateurs.
Métro dans l’autre sens. Bondé. Je sens le chat roux et sa mort et la nuit vieillie et le besoin de lit. Une envie de lait frais, entier, cueilli du matin. Je passe par le newsagent pour choper une petite brick courte sur pattes, de celle qu’on engorge en deux trouées. Un peu de pain de mie pour tremper l’estomac noué. Breakfast pas at Tiffany’s.
Je ne peux pas entrer, une femme colle une affichette sur la porte vitrée remplie de small ads du quartier, de babysitting à ménage, de bricolage à petites ventes pour finir les fins de mois. Les crack men du quartier tiennent déjà le mur. Sourires de manques, yeux blancs, mains sèches (la vaseline sert aux shoots pas aux phalanges craquelées). J’attends.
Sur l’affichette, une photo de chatons, 4 ou 5. Une chatte parturiente sous un flash de photo dans une boîte-lit- couche-coussin d’allaitement. « Kittens to give away. Half mainecoon half tortoiseshell angora for the mother. Unknown dad. Available now. » La femme me laisse passer. Je demande si je peux venir chercher un des petits. On y va. En 9 minutes, j’ai un nouveau chat. Calfeutrée entre mes mains. Elle sent le lapin. Enfin, il sent le lapin. La femme m’a donné un mâle. Les femelles étaient réservées. Je le nomme Mowgli.
Je rentre. Nous rentrons. Les cuistos encore au lit. Restes de Fiesta n’ Coke dans le salon. Trous de boulettes dans la moquette. Frigo vide. Rideaux troués. Sauce tomate de la pasta du sol au plafond, sans rire. Envie de tout récurer, ma vie comprise.
Je place Mowgli près de mon lit. Nous dormons de suite. Après quelques jours, la vétérinaire m’apprend que Mowgli est une femelle. Ok, Maggie The Cat alors. En hommage à Maggie Simpson ET Maggie Thatcher – si vous connaiss-i-ez Maggie The Cat, vous savez pourquoi.
Maggie a vécu partout avec moi, avec d’autres, d’un squat dans d’anciens logements des gardiens de prison dont le chef de squat auto-proclamé proprio (faux) surfait sur un 45T de heavy métal qui avait fait les hits en 88 avec son groupe Screamin’ Jesus aux cellules minimalistes d’un hangar squatté sur le mont de Brixton habitées par des paumés cachés du genre une chinoise sans papier qui remuait des sacs en plastique toute la nuit et un fou de dieu jamaïcain qui se faisait des pâtes chinoises déshydratées spicy chicken en chantant OH LORD avec un lecteur de K7 autour du cou et un marocain sorti des geôles de Hassan II avec des couilles cuites, en passant par une maison habitée par un travesti aborigène qui venait de perdre sa mère et qui portait amoureusement ses blouses en lycra fleuri en se puffant de poudre blanche (cosmétique cette poudre là) dans sa barbe rugueuse et qui me glissait des fausses déclarations de police m’accusant de tous les torts pour m’éjecter (et me remplacer par mon mec de l’époque qu’il prenait pour un prince libanais).
Maggie les a tous vus, tous connus. Les garçons et les filles de ma vie, les cartons et les sacs de lieu en lieu jusqu’à sa (dernière) demeure, ici, à Bruxelles. 19 ans de baroudage et de petits échecs et de grands câlins.
Maggie est née le 14 avril 1998. Et c’est pas fini.
Ce soir, elle a reçu son plat préféré et un câlin du président de son fan club, lequel hésite encore entre l’empailler (lui-même) ou l’enterrer dans notre jardin quand elle sera morte.
Finalement, on a décidé qu’après l’anniversaire de 19 ans, elle devenait immortelle.
Gloire à Maggie, prosternons-nous.
Maggie….
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A lu.
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