Relais…
Salut à toi, Connards, tu sais, j’ai 43 ans, quelques années de féminisme dans les pattes (à poils, pas à poil) et aussi quelques années de survivance en banlieue parisienne, donc tu vois Connards, j’ai un peu de riposte dans le mont de Vénus, alors voilà, Connards, je rêve vraiment que tu changes de disque, qu’à chaque bronzage de glands dorés en été et en rue, tu nous fasses plus le coup de l’extase verbale derrière ton p’tit polo et tes lunettes collées à tes cheveux gominés par du gel peu lubrifiant, tu sais, Connards, je te souhaite sincèrement d’accéder au plus vite au paradis des verges molles (tu repasseras pour le paradis des vierges folles) parce que là, je t’ai « un peu » gueulé dessus, Connards, à ton premier commentaire sur ma coupe de cheveux auquel je réponds pas mais que tu vas quand même agrémenter d’un petit « Lesbienne! » au cas où j’aurais pas pu marcher sans ton appréciation,
et puis, là, Connards, alors que je me demandais si je devais revenir sur mes pas, avec mes hormones et mon double menton remonté, y a ton con-frère pas loin derrière qui me double en vélo et qui vient faire le Playmobite devant moi en demandant si j’ai pas du mal à monter la rue… j’imagine avec mes capitons et mon indice de masse corporelle et ma densité osseuse?
Alors que je t’envoie chier dans ton caniveau, à pas plus loin que 6 bagnoles après, je reçois, Connards, un signal de détresse de deux de tes potes, plus âgés, habillés en travailleurs du bâtiment, envoyé par leurs dentitions carnassières vers ma poitrine et mon cul, lesquels servent à mon intimité, à ma sexualité, à mon hygiène, à mon désir et certainement pas à ta fragile masculinité en mâle de toits,
là, je te parle Connards, je te dis que, tu vois, j’ai le droit et même j’aimerais bien, si ça te dérange pas, Connards, de marcher dans cette rue, laquelle appartient à ce qu’on nomme communément l’espace public et mon quartier de surcroît, sans me sentir proie, tu vois, Connards, j’ai bien pris le temps de m’arrêter devant toi, avec mon corps choisissant mon espace vital cette fois, mais j’avoue, Connards, que je t’ai menacé de tous mes ovaires, lesquels travaillent un peu plus, c’est vrai, vu que je suis en 4ème jour de cycle et que mon hormone lutéinisante joue probablement un rôle dans mon besoin de t’éduquer, de prendre à mon tour ton corps en otage jusqu’à te nouer le colon, et là, tu vois, Connards, je t’explique simplement ce que ça fait d’être, en l’espace d’à peine 100 mètres (faut dire que tu t’es passé le mot entre toi et toi, ou que la chaleur ne te cause que des tracas, va falloir penser à l’Antarctique), haranguée comme un papillon rare (ou mouche à merde) à qui on retire une aile pour voir s’il vole encore, tu vois Connards, je t’ai coupé la parole quand t’as essayé de faire le Grand Frère en t’excusant pour les autres d’en bas, je t’ai dit: je te parle à toi, c’est à toi que je demande des excuses, et là, Connards, je t’ai encore expliqué combien tu pourras jamais ressentir ça, sauf si on transpose ça dans un contexte flics-mecs du tierquar, tu vois, je te fais le coup des oppressions comparées alors que tu le sauras peut-être, c’est un exercice délicat, surtout que je suis blanche (même si j’ai pris des « couleurs » à la mer du Nord), et que je réalise que si j’écris ça, on va pousser le vice jusqu’au racisme et jusquà l’essentialisation des mecs du tierquar, heureusement, vous étiez divers en origines et uniques en votre genre, c’est ça mon propos, un truc du genre, bref, là, Connards, tandis que tu répètes tes excuses auxquelles je ne crois pas et que je monte la rue (t’inquiète, j’ai les chevilles solides et les cuisses musclées, ben oui 100 kilos-être à pied ça muscle, ça muscle), je t’entends rire, Connards, non, ricaner même, et là, tu vois, Connards, en fait, t’as gagné, t’as tout gagné, mon humiliation ET ma rage ET ma possible résilience, je te félicite, Connards, t’as remporté la floche et la médaille, et là, tu vois, j’ai eu les larmes dans le larynx, faut dire qu’il fait chaud, que j’ai mes règles Jour4, que je reviens d’une visite guidée féministe menée par Marie Mineur Noms Peut-Être qui m’a bien vitalisée et que je suis passée voir l’expo Textiles dans la galerie adorée E²/Sterput où j’ai vu des bites et des chattes et des Entre-deux et des transfigurations des violences genrées faites aux corps et aux esprits avec des fils, tu vois, Connards, ça tombe mal, parce qu’en fait, tu me pousses dans une tranchée manichéenne, tu me culbutes dans le ravin binaire qui voudrait que je sois femme et que tu sois homme, Connards, et tu vois, ça m’emmerde, parce que je crois à l’Eros, aux origines androgynes, au Queer, aux fluidités des étreintes, aux Moi pluriels et aux heures bleues, même si c’est rude, même si c’est un parcours d’obstacles intimes et extimes, alors, tu vois Connards, avec tes bastions et tes saillies dans mon champ de vision, dans mon horizon, j’avoue que je récite le SCUM Manifesto en mantra sur un air de L7,
et puis, Connards, quand je traverse la rue plus haut, que j’ai le soleil dans le dos et la lune dans ma gorge, je pense plus à toi, Connards, je pense plus à moi non plus, je pense au système, non pas solaire, Connards, suis un peu ce que je t’écris! Non, au système qui t’invite à ce pouvoir, au système qui t’a convaincu de ta légitimité, individuelle et collective, au système des héritages de privilèges qui court dans tes veines de ton iris à ton prépuce, et là, Connards, alors que je prends de la hauteur, alors que je quitte le sol pour la brume, alors que je me déleste de sacs de leste à l’effigie de tes couilles pleines de petits-toi-portraits-crachés-de-tes-pères, je dépasse ta bagnole à vitres ouvertes qui laissent sortir ton tube de l’été et ta sueur (tous deux de mauvais goût?), et là, tu me dis BONJOUR, un de ces BONJOUR assuré à la Julio Iglésias de Lidl, alors, évidemment, là, tu vois, Connards, tu as pris, avec ma voix néo-Castafiore et post-Diamanda Galás, là, Connards, t’aurais eu beau me dire que pour toi, saluer les « gens » (ah oui, t’as salué tous les hommes et toutes les femmes depuis que toi et ton pote êtes assis dans votre bagnole à fumer la pollution?) est naturel et qu’en plus, chez « toi » (???), c’est signe de respect, là, tu vois Connards, tu as pris pour toi, pour ta mauvaise foi c’est clair mais t’as aussi pris pour les 5698 générations qui te précèdent ou te suivent, pioche, là, Connards, les trams ont dû trembler sur leurs rails, les bus ont dû être déviés, parce que là, Connards, bien sûr, y avait ma voix au dessus des Toi, mais y avait aussi l’écho de tous les attouchements des clients du café de mes grand-parents, y avait la réplique de toutes les mains crapuleuses des transports en commun, y avait aussi tous les merveilleux commentaires que personne t’a demandé, Connards, sur mes choix vestimentaires et capillaires et mes humeurs d’ovaires, y avait aussi, Connards, toutes les histoires de copines de mon adolescence à mon état actuel des choses qui ont subi tes queues à percussions, tes violences intestines à répétitions, tes dévalorisations âge-genre-race-classe à tire-larigot, tes mouvements de hanches sans temps ni présent, tes haines de toi transposées sur tes haines de Moi, tu vois Connards, à cause d’un simple bonjour, tu t’es pris une bombe à clous et à vis dont les fragments pourront sortir dans 1 ou 10 ans, qui sait?, là, tu vois Connards, t’as fermé ta gueule, je sais pas si c’était par peur de ma furie dont tu tireras la conclusion « Hystérie » ou par crainte d’attirer la honte sur toi ou par considération empathique pour… non, là, faudrait quand même pas que je m’attendrisse, ou que j’y crois, tu vois, Connards, en fait, là, je suis rentrée chez moi sans avoir cependant maculé ta bagnole de glaire cervicale parce que finalement, je préfère la garder pour mes culottes et mes poils de chatte, tu vois Connards, je te parle avec mes mots intestins et mes viscères en colère, je suis rentrée chez moi et j’écris ce poste sur facebook, si j’avais tes noms, Connards, je pense que j’en serai à te dénoncer, à t’évider de toute cachette, mais après, finalement, Connards, c’est de moi dont j’aurais honte, d’être passé par la case prison, pas celle que tu as construite autour de moi non, mais celle contre laquelle je vais devoir lutter, encore, comme toujours, à chaque fois que je sors, à chaque fois que je m’habille, à chaque fois que je prendrais cette rue, à chaque fois que…
Alors, après avoir écrit tout mon saoul, je me dis que j’aurais pu tout résumer en une phrase lapidaire mais trop habituelle, avec hashtag harcèlement de rue, écrire un SMS à un mec bien pour qu’il te sauve du lieu systémique dans lequel tu as plongé tout seul, ou même bien entendu, dans une sorte de pudeur qui ne m’est pas fidèle, refiler ma rage dans un crème à la vanille ou un morceau de fromage bleu avec pourriture vertueuse, mais j’ai eu envie d’écrire, d’écrire longtemps, comme pour diluer le temps et l’espace et le reformuler mien, comme pour étendre ces altercations sur mon fil à pendre mon linge sale, comme pour te parler, aussi, Connards, parce que je crois à la parole, aux mots comme vecteurs de justice et d’éthique.
La morale de l’histoire veut que je rebondisse, donc, je vais cliquer sur publier après avoir relu mon moment avec moi-même qui deviendra avec qui veut, et puis après, je sais pas, je vais pas t’avouer que je vais pas ressortir ce soir comme j’en avais envie et qu’il se peut que ce soit à cause de toi, Connards, non, je vais sûrement justifier ce « choix » par du boulot à terminer (c’est vrai aussi), et une fatigue à assumer…
#ReclaimTheNightOkMaisReclaimTheDayAussi
Mi-Lady
Mi-Gueuze
Thanks great blogg
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