Langue et Domination en pays d’atelier d’écriture

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Suite à une invitation de Valérie Vanhoutvinck à propos des dominations et des langues en vue d’un article publiable dans la revue de l’association Culture & Démocratie, j’avais écrit ces quelques lignes, lesquelles sont arrivées après l’échéance de publication, mais les voici ici.

  1. (VH) Quelle idée/envie/besoin/circonstance centrale à votre entrée en ‘animation d’atelier d’écriture’ ? 

(MR) Un hasard, une invitation à un atelier d’écriture menant à une pratique d’abord amatrice et légère. En atelier, je découvre une excuse vers l’écriture: être à plusieurs dans un objectif commun, avec variations et intentions stratifiées. Vers une rencontre avec des pairs, des biotopes vigoureux ou/et vicieux. De ces connivences et ces ruptures avec des questions de participant.e.s, des manquements de ma part et au sein d’ateliers animés par d’autres animateur.trice.s, est née l’envie de me professionnaliser, de ne plus chipoter sauvagement, malgré le plaisir égoïste que ce genre de pulsion engage.
Ecrire – faire écrire – se faire lire – s’entendre écrire – s’évoluer – se radicaliser.
Liaisons dangereuses entre le regard de l’auteur.trice et le groupe et l’animateur.trice. Sainte Trinité, saint esprit bienveillant compris.

  1. Un cadre particulier dans lequel vous avez animé, qui aurait selon vous infusé singulièrement les textes produits là ? 

Auprès de 6 filles entre 13 et 17 ans, à l’IPPJ. Des filles en captivité physique et psychique. Des parcours entre chaos et néant affectif. Un après-midi, dans une citadelle, entre un atelier Breakdance et Poésie. Je leur présente Maya Angelou, Angela Davis, Mahmoud Darwich, Abdelatif Laâbi, Joyce Mansour, … Elles se détournent, s’engueulent d’abord. L’atelier comme un chantier impossible, ruines avant la bombe.
Puis, pugnaces (elles et moi), on se procure une confiance, une défiance et on écrit un seul mot sur un post-it rose. 7 mots pour 7 corps en colères. On en tire une leçon, un slogan collectif et une discussion à tirs francs. Finalement, quelques heures pour 7 mots écrits, c’est le pire et le meilleur à la fois.

  1. Vos intentions, vos espérances, votre état à la veille de l’animation d’un atelier ? 

    Etat de grâce et torpeur. Je prépare toujours trop, dans trop de sens, avec des couloirs en dédale qui sont le reflet de ma pensée, de mes intentions: faire plus avec déjà pas mal. Du magma chaud, un geyser foutraque. Par contre, toujours et sans écart, des mises au clair sur mes intentions, mes désirs, pour moi autrice, pour moi animatrice, pour moi, potentielle participante. Je change les casquettes jusqu’à dilution d’une posture unique. Et puis, je passe beaucoup de temps à réfléchir à l’accueil (décorum, bibliographie, sélection de thés et biscuits). Surtout, quand entreront-iels dans l’écriture? Est-ce qu’il sera préférable d’être poétesse ou formatrice? Quelle énergie produira le groupe? 

  1. Quel regard/attente à la rencontre de nouveaux participants, de groupes inconnus ? 

Réponse intégrée dans celle d’avant. beaucoup de contextes différents en plus de 15 ans, donc, beaucoup d’inconnu appréhendé et beaucoup d’inconnu passé à la trappe de la mémoire. 

Gageure: garder l’oeil ouvert, le regard neuf, la vision globale.
Bonheur: chaque fois questionner les acquis, les évidences, chaque fois, reconsidérer qui est là, avec qui nous sommes, dans quels lieux psychiques et physiques nous écrirons.

  1. Un public ‘préféré’ s’il existe sinon l’éloge du ‘tout public’ ? 

Le non-averti, le non-acquis, le non-réfractaire, le non-tout-par-terre, le non-je-sais-tout, le non-dominant, le non-commerçant, le non-marchand, le oui-oui, le oui-peut-être, le oui-jouit, le oui-complètement, le oui-test, le oui-si-jamais, le oui-pas-tout-de-suite, le oui-si.

 

  1. Quelle expérience propose à vos yeux l’atelier d’écriture ?  

Espaces: une ronde folle, une chapelle, une nef lumineuse, un interstice de plancher, un hospice, un nid à long cou, un marais, un champ à moissonner, une chambre à soi à plusieurs, un cercle polaire, une tapisserie de Bayeux, un autoportrait de Picasso, une machine de Tinguely, un infratexte de Barthes, un lit à draps froids, une piscine olympique, une planche anatomique (de dos).

Temps: Diastoles, Aïon, Mâ, Présent-présence.

  1. Titres de vos derniers ateliers ? 

Femmes Savantes 2.0 (atelier pro-féministe); Sérendipités; Atelier autour de l’Empowerment Politique; Text(il)es (co-animation avec Elise Patte, plasticienne textilienne); Corps & Âmes (Corps: sujet & objet d’écritures créatives en cycle), …

  1. Deux consignes que vous avez adoré proposer et un titre ou ‘thème’ d’atelier fétiche ? 

Une proposée dans Lacis de chemins – Parenthèse 15, le recueil de portraits d’animateur.trice.s édité par le Réseau Kalame:  http://reseau-kalame.be/Parenthese-15-Lacis-de-chemins-Compilation-de-regards-et-d-approches-autour-de

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Jouer la playlist suivante à fond autour de soi. Dès le début, un texte plutôt narratif émerge sur un incipit pioché dans un livre voisin. On fabrique une ambiance reliée (sans trop illustrer) à ce qui s’implique à l’écoute (son, matière, ambiance, rythme, paroles, …):

Canon in D de Pachelbel
Reprise de Like a virgin de Madonna par Big Daddy
Veena murali de Ravi Shankar
Field recording: Grenouilles de Tchernobyl
A far l’amore comincia tu de Raffaella Carra
Petko Radev – Boulchenska Ratchenista
Marche pour une Pavane de Gabriel Fauré
The fine art of poisoning de Jill Tracy
Joanna de Serge Gainsbourg
Ça plane pour moi de Plastic Bertrand
Love will tear us appart de Joy Division

à chaque nouveau morceau écouté en entier, le.la protagoniste du récit subit une rupture (de lieu, de temps, de ton, d’évènement, …). Du plus subtil au plus grandiloquent, chaque changement de piste est un basculement.

Dans un second temps, de relecture / de réécriture, (en réécoutant ou pas la playlist), on gomme les effets artificiels et on propose une structure fragmentée mais « cohérente » pour que le récit tienne sa route.

  1. Des souvenirs de l’un ou l’autre texte ou extrait produits dans vos ateliers   (qui , quoi , comment optionnel & avec ou sans consigne) ? avec le portrait d’une participante marquante.

Un texte de feu écrit par une participante dans un contexte psychiatrique en Belgique. Une jeune fille dite psychotique de moins de 20 ans, au physique blanc, albinos d’origine congolaise, jamais silencieuse de corps et de langue.
La proposition était une fable animalière (symboliques personnelles) où l’on s’emparait d’un animal qui était « seul contre tous ». La morale pouvait être résolution ou dissolution, pas de nécessité de « belle fin ».
Elle sort tout un texte à destination de sa famille (moitié en Belgique, moitié en RDC) explorant l’effet miroir que son physique et sa marginalité avaient provoqué. Un pamphlet magique et radical contre toutes les oppressions (genre, ‘race’, singularité, validisme) qu’elle avait subies. Texte d’images symboliques, d’anecdotes ponctué de mots en Lingala, structuré par un souffle que la participante a amplifié par une lecture en scansion entre cris et murmures et ricanements. Elle avait choisi d’être hyène.
Effets ressentis jusqu’à l’os par tou.te.s les autres participant.e.s, par les quelques personnes du personnel soignant et moi.
Ce texte a été affiché au musée Arts & Marges par la suite. La lecture a été faite par la participante dans l’espace d’exposition.
Pour ce qui est de l’écriture et la domination, j’ai juste envie de citer Patrick Chamoiseau et son « écrire en pays dominé » chez Gallimard.

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