Patrick D. était notre ami, à Cassius et à moi.
L’autre Lieu nous avait mis en lien par affinités au sein du projet AmiKaro.
Se promener, le cinéma, les sorties culturelles, « devenir » amis.
Patrick, nos premières sorties étaient difficiles pour nous car tu étais maltraité par les gars (eux-mêmes maltraités, parfois tes amis, parfois moins tes amis) du dortoir au Home de la Violette et tes « anecdotes » nous montraient notre incapacité à agir.
Tu disais, on écoutait, on rentrait, tu retournais.
Tu as d’abord cru que notre relation d’amitié « organisée » par l’Autre Lieu était matrimoniale. Au Cirque, tu as pris ma main, as dit à Cassius que quelque chose te rendait heureux. C’était déjà ça de gagné… il a fallu qu’on parle beaucoup de ce que nous pourrions faire ensemble et ne pas faire ensemble. On s’accordait sur les silences et sur nos visions de ce qui était le nous, le toi.
T’entendre répondre si franchement si doucement si calmement aux questions d’un enfant de 5 ans sur ta vie me donnait confiance en ce qui faisait nous.
Ta vie, comme un abonnement au saut d’obstacles, nous arrivait en dehors de ce que nous étions mais ça nous arrivait, ça nous touchait, ça nous agitait.
Tu as dit à Cassius qu’il ferait un très bon assistant social.
Ton corps pétri d’injonctions, d’incidents, faisait partie d’une parure de rue, et avec nous, c’était un bal masqué, pour quelques heures par semaine.
Ta gentillesse, ta trajectoire et ta dose de camisole chimique faisaient de toi ce que tu as toi même appelé « une bonne poire ».
C’est ce que tu as dit aussi en expliquant que ton tuteur administratif, mandaté par le CPAS, te taxait 15 euros par semaine pour s’occuper de tes « affaires ».
A l’avocate engagée pour te défendre, tu as dit: ben, sur les 60 euros hebdomadaires que je reçois, si j’ai encore assez pour mon pot de tabac, je m’en fiche.
Tu as prêté de l’argent, tes affaires, ton temps, ta gentillesse, c’était (presque) jamais réciproque. Je ne crois pas avoir osé poser la question si ça te faisait mal.
De toute façon, la réciprocité est une équation à plusieurs inconnues.
Moments où nous venions te chercher le matin et tu embaumais le parfum à 8 mètres. Moments où tu étais si fatigué que tu t’endormais au chaud dans la salle de ciné. Moments où pendant des balades dans les parcs, tu ne parlais pas du tout pendant que Cassius parlait tout et tant.
Moments où tu as pleuré très longtemps devant nous parce que la photo de Cassius et toi avait été arrachée de derrière le lit qui n’était jamais le tien.
Cette micro famille recomposée. C’était pas très original. C’était pas si dramatique.
C’était pas logique. C’était juste. C’était comme si.
Après deux ans, un AS t’a trouvé un appartement supervisé à Louvain La Neuve. On s’est appelé quelques fois sur un des nombreux « nouveaux » numéros.
Puis, plus rien.
Sauf nos évocations, entre Cassius et moi.
Il y a quelques jours, je »découvre » ton nom dans la liste des Mort.e.s de la Rue pour laquelle je/nous (collectif des poètes bruxellois) écri/ron/s une litanie.
Il y a une liste de poétes.sses et une liste de gens morts dans la rue.
Le hasard a attribué ton histoire de vie, ton nom à mon nom. Tirage au vilain sort.
J’y lis des fragments épars recueillis par des personnes d’associations, de relais sociaux qui t’ont croisé. C’est confirmé. Gentil, souriant, serviable… C’est « bon », c’est noté dans le souvenir d’autres aussi.
J’ai écrit le quatrain presque classique, en pensant qu’il devait vraiment s’adresser à toi. Je t’y parle. Je t’y pleure. Je t’y mémorise.

Statuette
vers 1550-1292 av. J.-C.
XVIIIe dynastie égyptienne
Poème goutte dans le caniveau de la ville. Une fleur sortie du pavé, si on veut?
Tes rêves n’ont pas vraiment pris fin,
Ils se dispersent entre des lits et des rives.
Surpasseur du trop, tisserand d’un sourire trop rapide à la faux,
cent et un de tes rires vagabondent de pieux en autres lieux.
Au revoir, Patrick D.
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