une jeune fille de 90 ans et moi

quand la nuit est brèche, on peut laisser un ru s’y écouler. cette nuit, le bruit qui désaltère était vieux, la voix de Blanche (jeune fille de 90 ans) a rempli l’âge que je n’ai pas (encore). il existe tant de logique et de surprises dans le regard des personnes âgées. quant à nos regards, on reconnaîtra ici les taches brunes de peaux irrégulières, on notera là l’asymétrie amplifiée dans les visages, on regrettera, par effet miroir et crainte, que les bouches et les paupières clignent moins, voire aspirent tout l’air qu’il est encore possible de digérer. Et les corps dissimulés sous les recroquevillements, entre les scléroses et ralentissements, disent combien la chair est un désir qu’il faut travailler, qu’il faut espérer, depuis l’enfance par ailleurs.

ma brèche et mon ru furent ce documentaire: https://www.arte.tv/fr/videos/069055-000-A/une-jeune-fille-de-90-ans/

mon estime des vieilles et des vieux est née de plusieurs aventures intimes. d’abord celle d’avoir cohabité avec la GrandTante Marie, devenue aveugle à qui on avait greffé de la rétine de veau et qui cuisinait la poule au pot en chantonnant viens poupoule viens poupoule viens puis avec mon arrière grand-père André, ingénieur batelier qui avait résisté aux nazis dont la commankantur nichait à 200 mètres de son atelier en sciant les barreaux d’échelles ou bricolant les outils que les nazis venaient emprunter ou encore en calculant le taux d’enfoncement dans l’eau des barques qu’il fabriquait spécifiquement pour qu’elles prennent l’eau et que les cadres militaires du reich prenaient pour promener les jeunes filles de la ville au bord de l’Yonne. il avait ce don de la taquinerie jusqu’à me rendre chèvre.
j’ai également eu la chance d’être la fille de l’animateur des activités « socio-culturelles » de la maison de retraite de Villecante. les pensionnaires vivant dans un cadre champêtre m’adoraient par procuration car mon père pratiquait le chant, les sorties et l’humour avec elles et eux et je récoltais ainsi moult biscuits, fruits et récits.



Au delà de ces privilèges de fille de…, les témoignages, les errances, les petits riens, les grands drames de la micro société des vieux ont augmenté mon enfance. je ne crois pas les avoir idéalisés, j’entendais déjà les limitations de leur horizon, j’écoutais des commentaires racistes sur les aide-soignantes « de couleur » (dont la femme de mon père) qui les accompagnaient bon gré mal gré, j’observais des coups bas au goûter et des crispations au coucher. je savais aussi que le mot solitude dirigeait la majorité de leurs nuits, connaissance appuyée plus tard par un job d’étudiante où j’ai été gardienne de nuit dans un home pendant les « fêtes » de fin d’année.
tout ça implique les questions sur la vieille que je serai, la vieillesse que j’aborderai, la communauté que je désirerai intégrer ou dénigrer, et la société actuelle nécrogène que j’espère modifiée / modifier. Qui sait.

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